"À force, on ne jouera plus le jeu": les distributeurs refusent d’être les boucs émissaires des négociations commerciales
Cela fait un moment que le ministre de l’Économie et des Finances fait monter la pression sur le respect de la loi Egalim lors des négociations commerciales entre distributeurs et fournisseurs de l’industrie agroalimentaire. Au plus fort de la colère des agriculteurs, le 31 janvier, Bruno Le Maire a annoncé le doublement des contrôles sur les contrats qui venaient d’être signés et la sentence n’a pas tardé à tomber.
Lundi, il a annoncé sur France 5 que sur "1.000" contrats, "124 ne respectaient pas les règles de la loi", que ce soit par manquement d'un distributeur ou d'un industriel. "Les cinq distributeurs (Leclerc, Carrefour, Intermarché, Système U et Auchan, NDLR) sont tous concernés par les enquêtes", a-t-il ajouté, martelant que "personne ne passerait entre les mailles du filet". De quoi mettre la pression sur les principaux intéressés.
Les distributeurs montent au créneau
Lundi matin, sur France Inter, Michel-Édouard Leclerc a déclaré que son groupe aurait "probablement des assignations". "Dès que les accords commerciaux sont finis, à minuit, le lendemain, l’administration vient pomper dans les ordinateurs tous les accords commerciaux", a-t-il expliqué.
"Ils vont faire leur marché et probablement nous aurons des assignations, soit des injonctions de faire autrement, soit des assignations pouvant conduire à des procès."
Mardi, le patron de System U, Dominique Schelcher a déclaré sur Radio Classique avoir "un peu le sentiment d’être le bouc émissaire".
"Vu le contexte cette année, où il faut trouver des responsables de tout ce qui se passe, nous clairement, on s'attend à une amende", a t-il expliqué.
L’un et l’autre ont assuré que leurs groupes veillaient à respecter la loi et que s’il devait y avoir des "anomalies", selon le terme employé par Dominique Schelcher, ou des "erreurs d’étiquetage", selon ceux de Michel-Édouard Leclerc, ils les corrigeraient.
"À force, on ne jouera plus le jeu"
Mais leur sentiment d’être le "bouc émissaire" ou d’être "jetés en pâture", comme le dit le président du comité stratégique des centres E. Leclerc, est partagé par d’autres acteurs du secteur.
Nous nous sommes notamment entretenus avec l'un d'entre eux, qui ne prévoit pas de prendre la parole publiquement, mais qui se montre particulièrement exaspéré par les changements de ton de l’exécutif ces derniers mois. Tour à tour, énumère-t-il, le gouvernement "a demandé aux distributeurs de l’aider à combattre l’inflation en créant des 'paniers', d’avancer les négociations commerciales pour faire baisser les prix", et il a finit par les pointer du doigt…
"Quand il faut démontrer qu’un chien à la rage, il vaut mieux le faire piquer, pour ne se faire ridiculiser", fulmine cet acteur du secteur, qui prévient: "Cela a marché une fois, cela ne marchera pas deux! À force, on ne jouera plus le jeu!"
Le sujet, selon lui, ce n’est pas les distributeurs, mais "le prix de revient des agriculteurs" et l’opacité autour du coût de la matière agricole tel qu’il leur est présenté dans les contrats par les plus gros industriels. "Il y a un vrai sujet sur la transparence", abonde-t-on du côté de la direction d’Intermarché, où l’on se félicite du renforcement des contrôles de la DGCCRF et où l’on préconise, notamment, de retravailler la loi si elle n’est pas tout à fait efficace en l’état. En renvoyant de fait l’État à ses responsabilités.