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Ce mystérieux entrepreneur qui attaque Rubis avec l’aide de Vincent Bolloré

Patrick Molis cherche à prendre le contrôle de la gouvernance de la société pétrolière. Avec le soutien silencieux de l’homme d’affaires breton et de la famille Dassault.

Personne ne le connait mais il cache l’offensive de Vincent Bolloré sur Rubis. L’entrepreneur Patrick Molis a pris 5% du capital du spécialiste du stockage pétrolier fin mars. Suivi, 24 heures plus tard, par le propriétaire du groupe Bolloré qui a, lui aussi, racheté 5%. L’assemblée générale qui se tiendra le 11 juin promet d’être houleuse. Le cours de Bourse a été divisé par deux en quatre ans et la gouvernance prend l’eau. L’entrepreneur demande la nomination de quatre administrateurs sur dix, dont lui-même, afin de prendre le pouvoir chez Rubis. Avec l’aide discrète de Vincent Bolloré.

Les deux hommes assurent ne pas agir "de concert" mais comptent l’un sur l’autre. Chez Bolloré, silence radio. Lors de l’assemblée générale du groupe, le 22 mai dernier, son fils Cyrille Bolloré a détaillé que le milliardaire avait investi environ 120 millions d’euros, à 22 euros par action. Depuis, le cours de Bourse de Rubis a bondi à 32 euros, mais encore loin des 50 euros d’avant le Covid.

Selon nos informations, Vincent Bolloré a débuté ses achats l’automne dernier, juste après la démission de la représentante de la famille Dassault, actionnaire de Rubis à 5,7%. Et quelques mois après Patrick Molis, qui avait commencé à investir la même somme après l’assemblée générale de juin 2023 et la démission surprise du président de la société.

Des navires espions pour l’armée

Patrick Molis a dirigé pendant 30 ans la Compagnie nationale de navigation (CNN), une division de l’ancienne banque Worms dont il a été le directeur financier au milieu des années 1990. Son groupe a cumulé une vingtaine de sociétés qui gèrent notamment les terminaux pétroliers du port du Havre, opérant dans le stockage de pétrole, opèrent dans le transport maritime et la logistique pour l’Armée.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, se tient à côté de Patrick Molis, PDG d'Heli Union, lors d'une visite du site d’Uzein, le 14 janvier 2020.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, se tient à côté de Patrick Molis, PDG d'Heli Union, lors d'une visite du site d’Uzein, le 14 janvier 2020. © Direction de la Maintenance Aéronautique

Les informations sur son parcours sont rares. Certains piliers du capitalisme français se souviennent de lui, "très introduit dans le secteur de la défense". Ancien élève de l'Ecole Nationale d'Administration (1981-1983), il y croise l'investisseur Walter Butler, Pierre-André de Chalendar (PDG de Saint-Gobain) et Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères jusqu'en début d'année. Sa société, la CNN, a transporté des éléments de la fusée Ariane en Guyane et réalisé des opérations logistiques en Afrique pour la Direction générale de l’armement. Elle affrétait des hélicoptères et construisait des bateaux militaires, dont des navires espions équipés de systèmes d’écoutes embarqués pour la Direction du renseignement militaire (DRM).

Âgé de 66 ans,Patrick Molis n’est pas proche de Vincent Bolloré mais les deux hommes gravitent dans les mêmes sphères depuis 30 ans. Le patron de la CNN l’a croisé grâce à son activité de transport maritime. Au début des années 2000, il opérait en Afrique de l’Est quand Vincent Bolloré étendait son empire dans l’Ouest de l’Afrique. Il y a encore quelques années, ils disposaient tous les deux d’infrastructures portuaires au Congo et au Gabon. L’homme d’affaires breton était alors propriétaire de l’armateur Delmas Vieljeux qu’il a revendu, en 2005, au nouveau venu du secteur CMA CGM. Patrick Molis a aussi bien connu son fondateur Jacques Saadé et son fils Rodolphe, aujourd’hui aux manettes.

Deux deals avec Bolloré

Le nouvel homme fort de Rubis a toutefois réalisé deux "deals" avec Vincent Bolloré. En 1997, il est banquier d’affaires chez Worms quand Vincent Bolloré rachète 75% du capital du groupe de manutention Saga. Deux ans plus tard, il vient de reprendre la Compagnie nationale de navigation qui et revend au groupe Bolloré sa part de 31% dans le pipeline Donges-Metz que Total et Elf doivent abandonner.

À l’époque, Vincent Bolloré vient de passer deux ans comme administrateur d’une petite société qui a fait irruption dans le secteur pétrolier… Rubis. Pendant 20 ans, il a continué à avoir un œil dessus et un pied dedans par l’intermédiaire de la famille Picciotto. Cet investisseur est actionnaire du groupe Bolloré (5,3%) depuis les années 1980 et a été celui de Rubis entre 1999 et 2019.

"Ils parlaient souvent de Rubis qui était concurrent de Bolloré dans le stockage pétrolier", explique une source qui les connait bien.

À la différence de ses raids sur Lagardère, Ubisoft ou Havas, Vincent Bolloré reste caché. Pour les différents protagonistes du dossier, aucun doute : il soutient Patrick Molis et votera pour ses résolutions à l’assemblée générale du 11 juin. L’entrepreneur peut aussi compter sur la famille Dassault qui détient 5,7%. Chez Rubis, certains estiment qu’elle a même pu déclencher ce double raid.

Le président du Groupe Industriel Marcel Dassault (GIMD), Charles Edelstenne, connait Patrick Molis. Quant à Vincent Bolloré, il accueille Laurent Dassault au conseil de surveillance de Vivendi.

"On va voter pour Molis et former un groupe d’actionnaires solides", assure une source proche des Dassault.

Même chose pour Ronald Sämman, un actionnaire canadien (5%) qui demande lui aussi d’entrer au conseil d’administration. "Il a le même point de vue que Molis", note un de ses proches. Ce bloc de quatre actionnaires contrôle 21% du capital de Rubis.

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Trois grands investisseurs -BlackRock (5,8%), Tweedy Browne (5%) et Vanguard (3,3%)- devraient aussi soutenir l’offensive de Patrick Molis, alors qu’ils sont encore en perte sur leurs placements. Ils devraient suivre les recommandations des agences de conseils comme Proxinvest.

"Nous souhaitons les nominations de nouveaux administrateurs qui pourraient permettre au conseil d’exercer davantage de contre-pouvoir à la gérance", selon son directeur général Charles Pinel.

Sans compter que 25% des actionnaires ont changé depuis l’arrivée de Vincent Bolloré, signe qu’ils voteront, eux aussi, pour les changements de gouvernance. Patrick Molis, avec l’aide de Ronald Sämman, pourrait contrôler cinq sièges sur dix au conseil d’administration afin d’en prendre le contrôle. Dans ce cas, le nouvel homme fort de Rubis vise même, selon plusieurs sources, la présidence de l’entreprise pour dérouler son plan de bataille.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business