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Police-Justice

Chevaux mutilés: comment le mensonge d'une jeune femme a créé et alimenté la psychose

Selon une enquête d'un journaliste, c'est le mensonge d'une jeune femme de 23 ans qui a lancé la "psychose collective" des chevaux mutilés.

Oreille coupée, lacération du ventre ou des parties génitales, œil arraché ou encore crâne fracassé... À l'été 2020, c'est la psychose dans le milieu équin: plusieurs dizaines de chevaux sont retrouvés mutilés un peu partout en France. Et l'atrocité de ces actes de cruauté interpelle jusqu'au gouvernement, où les ministères de l'Intérieur et de l'Agriculture suivent l'affaire de près. Défi lancé sur Internet, dérives sectaires, mimétisme, haine des équidés, rites sataniques… Les théories vont bon train. Une cellule d’enquêteurs est donc créée, mi-septembre, sous l’égide de la police judiciaire de la gendarmerie nationale, pour faire la lumière sur les mutilations de chevaux.

Six mois plus tard, près de 500 cas sont recensés, un peu partout sur le territoire. Sauf que seulement 16% d'entre eux - environ 80 cas - résultent d’une action humaine. Pour le reste, il s'agit finalement d'animaux qui se sont blessés accidentellement entre eux ou de plaies causées post-mortem par des renards ou des corbeaux, par exemple. Selon une enquête de La Revue des médias de l’Ina (Institut national de l’audiovisuel), il s'agissait en réalité d'une "psychose collective", lancée par le "mensonge de Pauline S.".

"Une référence pour les médias"

Le 6 juin 2020, cette jeune femme de 23 ans, à la tête d'un "refuge de la dernière chance" vers Grèges, en Seine-Maritime, trouve sa jument, Lady, "agonisante, l'oreille droite coupée et la tête déchiquetée". Devant les enquêteurs, Pauline S. leur parle d'"un drone qui, parfois, survole son herbage", d'un "homme qu'elle a surpris sur son terrain, au cours d'une ronde de nuit" et d'une "tête de chevreuil retrouvée accrochée à sa barrière quelques semaines plus tôt". Pour elle, sa jument a été "attaquée à l'acide".

Sur les réseaux sociaux, elle prend connaissance de faits similaires. Un âne a été retrouvé mort dans son pré, un œil crevé et une oreille coupée, le vendredi 19 juin, à soixante kilomètres de Dieppe. Alors la jeune femme prend les choses en main. Devant les caméras de France 3 Normandie, elle déclare vouloir retrouver "l'enfoiré qui a fait ça" et annonce la création d'un groupe Facebook pour réunir tous les propriétaires d'équidés mutilés et "coincer ceux qui les assassinent".

"Ce groupe devient aussitôt une référence pour les médias. Et parce qu'elle en est l'administratrice, Pauline S. s'impose comme une porte-parole naturelle des victimes. Sur son téléphone Samsung, elle répond à tous les messages qui affluent jour et nuit", écrit le journaliste, auteur de l'enquête de l'Ina, Mathieu Deslandes. Pourtant, mi-septembre, Pauline S. disparaît brutalement des radars médiatiques.

L'alerte d'un vétérinaire

Retour le 4 juin 2020, deux jours avant la découverte du cadavre de Lady. Ce jour-là, Pauline S. reçoit un appel de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), qui la prévient que son refuge sera contrôlé la semaine suivante. C'est un vétérinaire qui a déclenché cette alerte. En sept mois, le spécialiste a été contraint d'euthanasier cinq chevaux recueillis par la jeune femme. Les autres équidés, eux, sont "pâles" et "infestés de poux".

Le soignant juge ainsi qu'il est temps "d'arrêter les conneries et de savoir de quoi meurent ces chevaux". Plusieurs mois auparavant, il avait déjà alerté Pauline S.: les quantités de nourriture étaient insuffisantes, la jeune femme n'avait visiblement pas les moyens de garder autant d'animaux. Le 6 juin, deux jours après l'appel de la DDPP, Pauline S. se rend dans un magasin spécialisé dans la vente de nourriture animale. C'est à son retour qu'elle découvre sa jument Lady, à l'agonie.

Craignant de tout perdre, elle omet de dire aux enquêteurs qu'en découvrant la ponette mutilée, elle a aussi retrouvé à côté sa chienne Loua, la gueule ensanglantée, ni que cette dernière avait déjà attaqué un autre cheval auparavant ou qu'elle avait dévoré un chat.

"Cela ne fait aucun doute: affamée, la chienne s'est jetée sur Lady. Affaiblie à l'extrême par les privations de nourriture, la jument, qui en était réduite à manger son propre crottin, n'a pas pu résister", explique le journaliste.

Alors, pour éviter que sa chienne ne lui soit retirée et euthanasiée, elle décide d'accuser un anonyme.

"Sans forcément se poser beaucoup de questions"

Son mensonge tiendra six mois. Lors de sa garde à vue, en janvier 2021, Pauline S. avouera avoir "été dépassée". Mais lors de leur contrôle, les autorités sanitaires souligneront son "indifférence cruelle" au sort des bêtes qu’elle voit "souffrir, dépérir et mourir".

Pour les journalistes qui ont cru la jeune femme, cette révélation est une douche froide. Augustin Bouquet des Chaux, le premier à avoir interrogé Pauline S., s'en veut d'avoir "donné une crédibilité" à la jeune femme. "Après, mes confrères, ils ont fait comme tout le monde: quand on voit un super témoin dans un journal concurrent, on est tenté de le récupérer sans forcément se poser beaucoup de questions", a expliqué ce journaliste des Informations Dieppoises à l'Ina. Pour la correspondante de BFM Normandie, qui en a aussi fait les frais, "on ne peut pas non plus partir du principe que tout le monde ment".

Le 25 juin 2021, Pauline S. a été condamnée pour "mauvais traitements et dénonciation mensongère" à quatre mois de prison avec sursis. Elle a interdiction d’exercer une profession en lien avec les chevaux. Elle aura à nouveau le droit de détenir un animal à compter de l’été 2024.

Manon Aublanc