Comment des fonds d’investissement prennent le pouvoir chez Casino
C’est une petite bataille dans la grande guerre autour de l’avenir de Casino. Le futur repreneur du groupe de distribution devra être choisi par ses créanciers. Et dans ce petit monde de financiers, c’est la guerre. Ces dernières semaines, plusieurs fonds d’investissement anglo-saxons sont devenus des prêteurs importants de Casino. Mercredi, ils ont pris part à la réunion avec les conciliateurs Marc Sénéchal et Aurélia Perdereau qui leur ont présenté les améliorations des deux offres de reprise du trio Zouari-Niel-Pigasse et Daniel Kretinsky.
Ces fonds -Attestor, David Kempner, Farallon ou encore Monarch Alternative et Sculptor Capital- prennent de plus en plus de poids chez Casino. Au point que les banques commerciales, notamment françaises, sont en train de perdre la main sur un groupe qu’elles portent à bout de bras depuis des années. En tout, elles ont prêté 10 milliards d’euros à l’empire de Jean-Charles Naouri (Casino, Rallye et ses sociétés personnelles).
"Ça bagarre sérieusement entre les banques et ces fonds", résume un proche du dossier.
Car, jusqu’ici, les banques détenaient environ 60% des créances garanties de Casino. Il s’agit d’un prêt de trésorerie (dit "RCF") qui pèse 2 milliards d’euros et d’un autre crédit ("term loan B") de 1,4 milliard. "C’est surtout le premier qui est clé car il perfuse Casino au jour le jour", explique un acteur du dossier. Ils sont garantis sur les enseignes opérationnelles françaises: Casino, Franprix et Monoprix, ce qui donne à leurs détenteurs un droit de vote prioritaire dans le choix du repreneur.
Le Crédit Agricole d’Île-de-France sème la zizanie
Avant que ne démarre la conciliation, le 25 mai dernier, plusieurs grandes banques internationales ont vendu leurs créances estampillées Casino, comme Santander, ING ou encore HSBC, qui est quasiment considérée comme française. La Société Générale aurait également cédé la sienne.
Selon nos informations, environ 700 millions d’euros sur les 2 milliards d’euros de la ligne de trésorerie ont changé de mains et ont été rachetés par ces fonds d’investissement. C’est surtout Attestor qui en acheté pour un montant important, compris, selon plusieurs sources concordantes, entre 400 et 450 millions d’euros, soit près de 25% du prêt. Contacté, Attestor ne nous a pas répondu.
Mais il y a quinze jours, un évènement a fait basculer le rapport de force entre les banques françaises et ces fonds d’investissement, réputés "vautours". Selon plusieurs sources bancaires, le Crédit Agricole d’Île-de-France (Cadif) a vendu sa créance de 60 millions d’euros. Au point que le "pool" bancaire n’est plus majoritaire dans cette ligne de crédit de trésorerie qui sera appelée à voter.
"Les fonds ont plus de 51% des votes dans ce RCF", assurent plusieurs sources.
"On a perdu la majorité à cause de la vente du prêt du Crédit Agricole", peste un banquier concurrent. La banque verte est pourtant l’un des deux gros créanciers de Casino, avec BNP Paribas. La décision de sa caisse d’Île-de-France a semé la zizanie au sein des banques françaises. Contactée, la Cadif n’a pas souhaité commenter nos informations.
Des fonds à la fois créanciers et actionnaires
Un détail technique qui n’en est pas un. Car ces fonds, comme Attestor, se sont associés à un des deux repreneurs: le trio Zouari-Niel-Pigasse. Ils vont investir à leurs côtés en tant que futurs actionnaires de Casino et choisiront inévitablement leur offre.
"Il faut se préparer à ce que Casino tombe entre les mains de ces fonds d’investissement", déplore un banquier français.
"Ce ne sont pas des fonds vautours, s’agace de son côté un de leurs proches. Ils jouent leur rôle dans la restructuration que certaines banques ne veulent pas assumer." En France, Attestor est connu pour avoir participé au sauvetage d’Europcar et de la Saur ces dernières années.
Mais cette perspective ne plait guère au gouvernement qui comptait sur les banques françaises pour conserver un œil sur le dossier. Et craint aussi que le groupe de distribution ne soit vendu à la découpe. Officiellement, Bercy ne fait aucun commentaire. Mais son Comité interministériel de restructuration industrielle, le "Ciri", a demandé que le futur repreneur s’engage à rester actionnaire à long terme pour éviter un démantèlement. Ce que Daniel Kretinsky a déclaré il y a une semaine, sans toutefois préciser le nombre d’années.
Les banques s'emportent
Mais c’est plus flou du côté des fonds d’investissement. "Il y aura des engagements qui pourront être d’un, deux ou trois ans, selon les cas", explique un proche du trio Zouari-Niel-Pigasse qui est allié à ces fonds comme Attestor. Une position qui pourrait encore évoluer alors que les deux candidats modifient leur offre de jour en jour. Ce point a été abordé par les banques françaises lors de la conférence téléphonique mercredi.
"On nous demande de prêter du cash à Casino pendant cinq ans et ces actionnaires pourront revendre au bout de deux ans, c’est inacceptable!", s’emporte un grand dirigeant de banque.
Ce dernier veut faire jouer la "jurisprudence Saur". Lors de la restructuration de l’entreprise de gestion de l’eau, il y a dix ans, le gouvernement avait imposé à BNP Paribas et Natixis de rester actionnaire pendant cinq ans. Après avoir poussé le trio Zouari-Niel-Pigasse à remonter le niveau de son offre, le conciliateur va désormais s’attaquer à leur engagement au capital de Casino en cas de reprise.