Cuisine, couture: un projet d'école catholique traditionnelle pour filles remue une commune de l'Ain
"Quel signal ça envoie pour l'avenir de notre jeunesse?" Vincent, père de famille de 47 ans n'en revient pas qu'un établissement catholique traditionnaliste envisage de s'implanter dans sa petite commune de Châtillon-sur-Chalaronne (Ain) à la rentrée de septembre, "avec l'aval des pouvoirs publics".
Cuisine, couture, tricot, ateliers d'art floral... La maison d’éducation Pauline Marie Jaricot, réservée aux filles du second degré (collège et lycée), prévoit "la formation intégrale des jeunes filles afin qu'elles deviennent des femmes libres et responsables en vue du Ciel", d'après le projet éducatif détaillé sur son site internet. Tout ça contre 350€ par mois de frais de scolarité.
"Préparer à l’éducation de leur sensibilité féminine"
Un projet pédagogique qui fait la part belle à la formation chrétienne, à l'apprentissage des savoirs, à la culture artistique, au dépassement de soi et au bon esprit. Selon le Parisien, l'établissement entend aussi "préparer les jeunes filles au plein épanouissement de leurs talents et à l’éducation de leur sensibilité féminine".
"C'est inquiétant car cette école illustre l'enfermement des gens sur eux-mêmes. Ce n'est pas ma vision de l'éducation ni de l'ouverture sur le monde", déplore Vincent, cadre dans le public et père d'une fille adolescente qu'il n'aimerait pas voir intégrer un tel établissement.
Dès la rentrée prochaine, les jeunes filles s'installeront dans les 440 m² des anciens locaux du musée de Châtillon-sur-Chalaronne qui appartiennent à la municipalité. Au programme: pas plus de 10 élèves par classe, et "un port de l'uniforme impeccable" devra être respecté. Selon le règlement intérieur, les élèves n'auront pas le droit au pantalon mais seulement à la jupe ou robe longue et hautes chaussettes. Elles devront avoir la tête couverte dans les lieux saints, les épaules couvertes au quotidien et les décolletés seront à proscrire.
"Toutes ces règles et cette vision des choses... ce n'est pas très engageant pour la jeunesse et encore moins pour la gente féminine", réagit Vincent, habitant indigné de la commune. "On a déjà des établissements catholiques à Châtillon, mais là c'est une autre dimension. Personnellement je ne me verrai pas du tout engager ma fille dans un projet qui prône un tel schéma familial".
"Ça soulève un tas d'interrogations"
C'est le groupe apolitique local La Libre Pensée, "qui se réclame de la raison et de la science", qui a d'abord tiré la sonnette d'alarme dans un courrier fin mai aux conseillers municipaux. Dans cette lettre, que BFMTV.com a pu consulter, le mouvement déplore un projet qui "propage des idées rétrogrades entravant la liberté de pensée".
Le mouvement dénonce aussi les liens du co-fondateur Jacques Madi avec le mouvement catholique intégriste Civitas, dissout par décret d'État du 4 octobre 2023, pour des "propos antisémites et islamistes ainsi que des "hommages à des figures de la collaboration ou du régime nazi". La Libre Pensée envisage désormais de demander une audience au maire afin d'éclaircir la genèse de ce projet d'établissement, qui selon elle a été décidé "par le maire lui-même, sans concertation préalable du conseil municipal".
"Ça soulève un tas d'interrogations", pointe une membre de l'association, contactée par BFMTV.com. "Le maire a signé un bail avec eux, et la population n'a à aucun moment été informée du pourquoi. Or quand on est bailleur, on est responsable".
Le diocèse de Belley-Ars prend ses distances
Le maire Patrick Mathias, que nous avons contacté à plusieurs reprises, n'a pas répondu à nos sollicitations. Mais la fondatrice de ce projet pédagogique, Thérèse Madi, affirme à BFMTV.com qu'elle était loin de s'attendre à de telles réactions en lançant son projet. "La polémique n'a pas lieu d'être: c'est un établissement qui va répondre à un besoin local et tout a été fait parfaitement dans les clous, en accord avec la mairie que nous avons rencontré et qui continue de nous soutenir aujourd'hui".
"Cette controverse, c'est une tempête dans un bocal! Après tout, pourquoi pas un tel projet éducatif?", s'interroge encore la fondatrice, qui assure que "les enseignement du socle commun de connaissances" seront respectés. Elle estime aussi que "les familles à qui ça ne plaît pas auront toujours pléthore d'établissements mixtes à leur disposition".
Cette femme de 40 ans, qui confie s'être inspirée des maisons d'éducations de la Légion d'honneur à Paris pour construire son projet d'"éducation alternative" ces deux dernières années, confirme à BFMTV.com qu'une plainte en diffamation a été déposée début juin contre le mouvement La Libre Pensée, en lien avec le courrier rédigé par l'association.
De son côté, le directeur diocésain des établissements catholique Olivier Deltour tient à préciser à La Voix de l'Ain que cette nouvelle structure "ne fera pas partie du réseau de l'enseignement catholique" de Belley-Ars et "qu'il n'y a pas de contact avec la paroisse ni de partenariat envisagé avec l'école-collège Saint Charles de Châtillon-sur-Chalaronne".