Émile, 1 an après (1/5): retour sur sa disparition dans le Haut-Vernet
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"Quand je me présente, que je dis que je suis journaliste et que je souhaite avoir une photo pour optimiser les chances de le retrouver, elle me dit: 'ah ça y est, le grand cirque va commencer'." Valentin Doyen, chef de bureau de BFM DICI, travaille depuis le début sur l’affaire de la disparition puis de la mort du petit Émile, 2 ans et demi, dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Il raconte dans la nouvelle série originale de podcasts de BFMTV, "Émile, l’impasse du Haut-Vernet" les coulisses de son travail pour couvrir l'affaire avec Boris Kharlamoff, reporter BFMTV et Pauline Revenaz, cheffe du service police-justice chez BFMTV.
Samedi 8 juillet 2023, le soleil tape sur le Haut-Vernet, ses fermes et leurs balcons fleuris. Dans l’une d’elles, un petit garçon de deux ans et demi sort de sa sieste. Il est arrivé la veille dans ce hameau isolé pour passer ses premiers jours de vacances scolaires chez ses grands-parents dans ce joli écrin de verdure.
"Le Vernet, c’est un tout petit village au cœur des Alpes-de-Haute-Provence, au bout d’une longue départementale. On est entouré par des champs, par des massifs", explique Boris Kharlamoff, journaliste à BFMTV. Il s’est rendu une petite dizaine de fois cette année dans ce village.
"Il y a 130 habitants au plus fort de l’année, mais c’est essentiellement un village qui vit l’été puisque l'hiver, il n’y a quasiment personne. Il y a énormément de monde, de villageois, de touristes entre le mois de juin et le mois de septembre." Et surtout, il y a le Haut-Vernet.
Encore plus isolé, "c’est un hameau qui est situé à moins de deux kilomètres de la montagne. Il n’y a qu’une seule route pour y accéder et, là-bas, c’est environ une trentaine d’habitations", explique l’envoyé spécial de BFMTV.
"Je suis parti presque comme un fou"
Le jour de sa disparition, le petit garçon a passé une bonne partie de sa matinée à jouer dans les près. La grand-mère a d'ailleurs eu bien du mal à mettre son petit-fils au lit. Lui préférait jouer avec les autres enfants. À midi, c'est un petit bonhomme ronchon qui a rejoint la maison de ses grands-parents. Il ne voulait pas s'arrêter de jouer, surtout pas pour aller manger. Le sommeil l'a finalement rattrapé.
Aux alentours de 17 heures, après avoir été changé en sortie de sieste par sa grand-mère, le petit garçon rejoint son grand-père occupé à charger des plots dans sa voiture pour travailler sur un enclos pour ses chevaux. Le garçonnet s’amuse à proximité du véhicule, profitant des températures encore bien élevées en cette fin d’après-midi d’été.
Un peu après 18 heures, sa grand-mère compose le 17. Une seconde d'inattention a suffi. Émile, son petit-fils, a disparu.
Ses parents, Colomban et Marie, prennent immédiatement la route. Deux heures les séparent du Haut-Vernet. À l’année, le couple réside à la Bouilladisse dans les Bouches-du-Rhône. À leur arrivée, ils tombent sur l'important dispositif de gendarmerie déployé pour retrouver leur enfant. Une dizaine de gendarmes sont déjà là. Ils ont été rejoints par une quinzaine d’habitants. Tous n’ont qu’un seul mot à la bouche: Émile, qu’ils ne cessent d’appeler.
"J'attaque mes vacances d'été et je vois cette information qui revient jusqu'à moi", se remémore Valentin Doyen, chef de bureau de BFM DICI, la chaîne locale de BFM dans les Alpes du Sud. "Je me renseigne puisque la disparition d'une personne, c'est plutôt rare et la disparition d'un enfant encore plus." Il ne s’imagine alors pas que la disparition d’Emile, deux ans et demi, deviendra un temps fort médiatique des mois durant.
François Balique, le maire du Vernet, participe aux premières recherches. "Lorsque j’ai appris ce drame, le fait qu’Émile avait disparu, qu’il avait échappé à la vigilance de ses grands-parents, tout de suite j’ai pensé qu’on allait vite le retrouver, puisque les enfants ici sont libres et qu’il devait être dans un fossé ou qu’il s’était égaré", avait-il confié aux équipes de Ligne Rouge. "Je suis parti presque comme un fou en disant ‘on va le trouver"."
Deux témoins
Dès le début de l’enquête, deux témoins assurent avoir croisé le petit blondinet quelques minutes avant sa disparition. Le premier, la soixantaine, tient un gîte au Haut-Vernet. Le second, réside dans ce même hameau. Entre 16h45 et 17 heures, ce jour-là, le jeune homme explique à Valentin Doyen se trouver à proximité de la maison des grands-parents du garçonnet. Il explique avoir vu Émile descendre vers le lavoir. Le petit garçon affectionne particulièrement ce bassin.
Le témoin explique ne pas avoir prévenu les secours, le petit garçon n’étant pas réellement seul dans ce hameau bordé de champs et de massifs puisqu’il se trouvait à une dizaine de mètres de là où son grand-père coupait du bois devant la maison.
Le jeune homme repart chez lui pour réaliser des travaux. Quelque temps plus tard, il passe une tête par la fenêtre et remarque quelque chose d’anormal. La famille du petit Émile est affolée. Les gendarmes sont arrivés. Un hélicoptère survole la zone. Le petit garçon n’a pas été retrouvé.
"On est face à quelque chose d'important, de plutôt rare pour le territoire", analyse Valentin Doyen. "Il y a beaucoup d'éléments qui nous montrent qu'on est sur une affaire un peu hors norme dès le départ", confirme Boris Kharlamoff.
Depuis les bureaux parisiens de BFMTV, Pauline Revenaz, cheffe du service police-justice de BFMTV reçoit un message de BFM DICI, l’antenne régionale. "Je pense que c’est un mail de Valentin Doyen qui me signale la disparition d’un enfant", explique-t-elle. “Et il me dit qu’il est en train de contacter la famille et je vais avoir des photos."
Un cliché resté dans les mémoires
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, Valentin Doyen lance des pistes et arrive très rapidement à obtenir l’identité du petit garçon. "Cette identité me permet de remonter jusqu’à ses proches. Dans un premier temps, son grand-père, que j’ai eu au téléphone et qui me passe directement sa famille." Marie, la maman du petit Émile, a pris la route avec son mari dès l’annonce de la disparition de son fils.
"J’échange avec elle par téléphone, lui indiquant que pour maximiser les chances de retrouver ce petit, il me faudrait une photo", se souvient Valentin Doyen. La mère de famille n’a pas son téléphone portable. "Elle l’a oublié dans la précipitation et passe donc son compagnon, son mari." Colomban, le père du petit garçon, envoie un cliché à Valentin Doyen.
BFM DICI diffuse un appel à témoins. "Les personnes disposant d'informations sont priées d'appeler le numéro qui s'affiche à l'écran", annonce Sandrine Baccaro, la présentatrice de notre chaîne locale dans les Alpes du Sud.
La France découvre Émile, 90 centimètres, yeux marron et cheveux blonds. Il porte un haut jaune, un short blanc avec un motif vert et des chaussures de randonnée. Émile, c’est aussi une photo. Celle d’un petit garçon posant tout sourire avec son gros pissenlit jaune coincé derrière l’oreille.
Émile, c’est aussi cette photo. "Tout de suite, il y a une espèce de choc visuel où on se dit que tout le monde va se projeter dans cette histoire, tout le monde peut s’apparenter à ce qui arrive", se remémore Pauline Revenaz. "Les vacances scolaires sont entamées, "beaucoup de petits enfants sont gardés par les grands-parents”.
"Une sorte de mobilisation générale"
Boris Kharlamoff arrive le lendemain de la disparition du petit Émile, le dimanche 9 juillet. "Et en fait, on est rapidement confronté à un flot ininterrompu de voitures. Plusieurs groupes de personnes, des centaines de personnes qui arrivent en même temps que nous dans le village." Bien loin du calme habituel. Avec la disparition du petit garçon de deux ans et demi, le discret Haut-Vernet perd son anonymat.
Sur les deux premiers jours, "ce sont 800 personnes qui ont participé activement aux recherches", se remémore l’envoyé spécial de BFMTV. "Des personnes qui viennent des quatre coins de la région et même certains viennent du nord de la France. C’est une histoire qui depuis le début a suscité une vive émotion dans tout le pays." Certains salariés ont demandé à leur entreprise de poser des jours de congés pour pouvoir participer aux battues, par exemple. "Il y a une sorte de mobilisation générale."
"C'est une histoire qui m'a quand même touchée donc est venus ici pour chercher le petit tous ensemble", rapportaient des bénévoles.
"Je pense que tout le monde est touché à l'idée de penser qu'un enfant de deux ans et demi est perdu, peut-être encore en vie je l'espère, quelque part, peut-être qu'il doit souffrir. C'est une chose qui nous tient à coeur."
Le discret hameau du Haut-Vernet perd son anonymat. Sur place, les locaux s’adaptent pour accueillir les bénévoles. Au bistrot du coin, depuis fermé, les participants prennent un verre avant qu’un gendarme n’arrive pour les répartir par groupe de dix ou de 12 personnes. Ainsi se poursuivent les battues citoyennes.
"Deux mètres serrés dans les bosquets"
L’homme en uniforme prend une carte et cible un secteur en particulier. La même consigne s’applique à tous: "alignement sur une colonne en direction de mon bras en lisière de forêt", indiquent les enquêteurs. "Espacement de cinq mètres maximum. Deux mètres serrés dans les bosquets."
Le centre communal se transforme en centre opérationnel de recherches. L’ancienne boulangerie sert de salle d’interrogatoire. Les journalistes s’installent au café. Émile, lui, est toujours porté disparu. Le temps presse. Le petit garçon a déjà passé deux nuits dehors.
"Ici, la nuit il fait 11 degrés, c’est quand même frais", rapportait François Balique, maire du Haut-Vernet. "Dans la journée, c’est la canicule mais la nuit, on est en montagne et il fait froid. Alors ce gamin qui n’aurait pas mangé, pas bu, il a quand même des limites physiques."
Personne ne cache ses craintes. "Les tantes et oncles et même le village, on est sous le choc et l’angoisse est de plus en plus forte au fur et à mesure que le temps passe et qu’on n’a toujours pas découvert Émile", expliquait le maire qui confiait son espoir "que si on continue, on puisse retrouver Émile".
L’hypothèse d’une fugue dans les bois, le maire n’y croit plus. "On aurait dû le retrouver avec les moyens qui ont été mis en place. Ce n’est pas possible qu’on ne l’ait pas trouvé donc il y a une autre explication", soufflait-il.
"Nous n'avons pas pu localiser l'enfant"
48 heures après la disparition du garçonnet, Rémy Avon, le procureur de la République de Digne-les-Bains, s’adresse aux médias: "Malgré toutes ces recherches, nous n’avons pas pu, à l’heure où je vous parle, localiser l’enfant." Un compte à rebours est lancé. L’enquête est confiée à la section de recherche de la gendarmerie de Marseille.
Après plusieurs jours de fouilles, aucune piste ne se dégage. Les recherches se poursuivent avec une nouvelle méthodologie. Les volontaires sont écartés. Les dernières journées n’ont pas été probantes. Certains bénévoles ne savent pas où partir, n’ont pas non plus connaissance de la montagne et de ses exigences. Les rangs ne sont pas forcément serrés comme le feraient les militaires. La zone de recherche a, elle, été polluée par des téléphones portables ou mégots de cigarettes. Dorénavant, l’armée seule maintient des recherches ciblées.
La zone est à nouveau ratissée. Des endroits qui n'avaient probablement pas été explorés, sont exploités. Les recherches opérationnelles ne donnent rien. Émile est introuvable.
Dix jours après sa disparition, l’enquête est confiée à des juges d’instruction. Une information judiciaire est ouverte. Les chiens spécialisés en recherche de cadavres et en recherche de restes humains, les Saint-Hubert et les hélicoptères équipés de caméras thermiques n’apportent pas d’éléments nouveaux. Le mystère autour de la disparition d’Émile s'épaissit. Le maire prend un arrêté municipal: l’accès au Haut-Vernet est dorénavant interdit.
À l’extérieur du huis-clos, les différents scénarios tournent en boucle: Émile a-t-il été enlevé? Est-ce que quelqu’un a voulu lui faire du mal et peut-être à l’origine de sa disparition? La piste criminelle est étudiée. Les habitants l’assurent, aucun rôdeur ne s’aventure au Haut-Vernet. Plus globalement, rares sont les personnes à se rendre au hameau, la route étant difficile d'accès. La famille d’Émile apparaît alors comme suspecte.
"Émile, l'impasse du Haut-Vernet": une nouvelle série originale de podcasts en 5 épisodes pour revenir sur le mystère judiciaire qui a agité la France. Un récit enrichi d’entretiens croisés avec la participation des journalistes de BFMTV Pauline Revenaz, Boris Kharlamoff, Maxime Brandstaetter et de Valentin Doyen, chef de bureau de BFM DICI. Ils racontent les coulisses de leur travail et la façon dont ils ont suivi cette histoire hors normes.