BFM Business
Services

"Esprit castor", franchises, réduction… Comment Castorama tente de remonter la pente

Confrontée à une baisse des ventes en France, l'enseigne de bricolage veut entamer un renouveau. Pour cela, elle mise sur son animal-totem, le castor, mais aussi sur un plan de restructuration des magasins.

Le castor à la rescousse de Casto. Ce n'est un secret pour personne: l'enseigne de magasins de bricolage va mal. Au premier trimestre 2024, les ventes de Castorama ont baissé de 5,5%.

Son propriétaire, le groupe Kingfisher, qui possède aussi Brico Dépôt, a vu son chiffre d'affaires en France baisser de 5,9% en 2023. Le groupe précise aussi qu'"environ un tiers" des 95 Castorama de France "sont les magasins les moins performants de notre portefeuille". Face à cette situation, l'entreprise britannique a annoncé fin mars un grand plan "d'optimisation et de modernisation".

Un marché morose

Certes, la crise ne touche pas que Castorama. Après des années Covid exceptionnelles pendant lesquelles les Français, confinés, ont massivement voulu améliorer leur intérieur, le soufflé est retombé. Le secteur du bricolage est maintenant à la peine, d'abord parce que ceux qui ont refait leur salle de bains pendant le confinement ne vont pas recommencer tout de suite. Ensuite, parce que le contexte d'inflation grève le budget des Français.

Mais même dans un marché morose, Castorama, éternel deuxième, est à la traîne derrière Leroy Merlin. Alors pour tenter de regagner des parts de marchés, l'entreprise mise… sur le castor. Depuis 2021, la marque a remis l'animal au coeur de sa stratégie marketing.

"Le castor, c'est un animal qui construit sa maison. L'objectif est de s'adresser à ceux qui aiment faire les choses eux-mêmes", explique le directeur général de Kingfisher, Thierry Garnier, auprès de BFM Business.
De l’info, du Sport, de l’humour et de la bonne humeur… Cette année, Charles Magnien, vous accompagnent de 5h à 6h30 lavec sa bande : Géraldine de Mori, Emmanuel Lechypre Alexandre Biggerstaff, Anthony Morel. Parmi les nouveautés  une première version de RMC s'engage avec vous et l'équipe de Amélie Rosique, une histoire PJ chaque jour et les indiscrets de la rédaction, sans oublier les chroniques humour d'Arnaud Demanche.
La solution conso : Bricolage, comment trouver du matériel pas très cher ? - 15/05
2:32

Le castor, animal-totem

En avril, Castorama a lancé une nouvelle campagne publicitaire, centrée sur son animal-totem, et dans laquelle une mère et son fils posent du parquet. Devant un reportage à la télévision, l'adolescent est admiratif des castors qui construisent eux-mêmes leur maison. Parallèlement, les castors, qui observent les humains par la fenêtre, s'émerveillent de les voir poser les lattes de parquet.

Une mise en abyme qui est loin de convaincre Frank Rosenthal, spécialiste du marketing dans le secteur du commerce. "On comprend seulement à la fin qu'ils utilisent les tutos casto donc c’est à peine relié au produit, il n'y a aucune urgence pour le consommateur à se déplacer au magasin", analyse-t-il.

"Les humains font référence aux castors, les castors aux humains, c’est d’une complexité…", estime le spécialiste.

Castorama assume en effet une stratégie différente de son principal concurrent. "Quand Leroy Merlin a un discours sur le passage du rêve à la réalité, Castorama mise sur le ressort de la légèreté et de l'humour. Ca fait trois ans qu'ils parient sur le castor mais je n'ai pas l'impression que ça ait fait le buzz", avance Frank Rosenthal.

À l'inverse, Thierry Garnier croit à la transmission de cet "esprit castor", c'est-à-dire une volonté de faire soi-même. Le patron de Kingfisher cite une étude de Viavoice selon laquelle 60% des Français se disent bricoleurs.

La mise en avant du castor permet aussi de se différencier. "Pour éviter que nos campagnes de communication ne bénéficient au leader, nous ne pouvons pas nous permettre de faire du tiède", explique Jérôme Deligne, directeur marketing et communication, auprès de la revue L'ADN. "Et comme nous sommes les seuls à avoir intégré la figure du castor à notre enseigne, cette attribution est forte parce qu’elle nous appartient."

Réduire les surfaces

Mais comme la communication ne fait pas tout, Kingfisher mise aussi sur un plan de modernisation des magasins afin d'améliorer la rentabilité de Castorama. Trois points de vente verront ainsi leur surface réduite, mais sans diminution du chiffre d'affaires, espère Thierry Garnier.

"On peut avoir le même nombre de produits, avec des étals moins grands, une meilleure organisation et présentation", assure le directeur général.

Avec des magasins plus petits, l'entreprise compte aussi faire des économies sur le nombre d'employés. "Il n'y aura pas de licenciements", promet Thierry Garnier. On a beaucoup de turnover chez nous donc si on doit ajuster en termes d'effectif, on recrutera moins."

Avec les mètres carrés libérés, Kingfisher veut sous-louer, "par exemple à Action, Aldi, Lidl ou Grand frais qui nous apportent du trafic, ça fait trois ans qu'on teste ce modèle et on est contents des résultats".

La société a également transformé deux magasins Castorama d'Île-de-France en Brico Dépôt, plus rentables. Ce qui a permis, selon elle, de doubler le chiffre d'affaires par mètre carré et d’améliorer fortement la rentabilité. Mais ces transferts sont limités en raison de la proximité géographique avec d'autres Brico Dépôt implantés.

Manque d'agressivité sur les prix

Le plan prévoit aussi des travaux, afin de moderniser une dizaine de Casto. Le modèle a été testé au magasin-concept d'Englos dans le Nord. "Les résultats sont très bons à Englos", assure Thierry Garnier. "On a un parcours client simplifié, plus clair, une belle présentation des projets cuisine et salle de bains", explique-t-il.

"Les univers se décomposent en deux parties, l’une qui présente les gammes en libreservice, l’autre qui rassemble dans une 'boutique' des éléments d’inspiration et un espace conseil", détaille l'entreprise, qui espère aussi capter une partie de la demande en matière de rénovation énergétique.

La place de l'immo : Formez-vous à la rénovation énergétique ! - 04/07
La place de l'immo : Formez-vous à la rénovation énergétique ! - 04/07
16:59

Mais selon Frank Rosenthal, qui l'a visité, un aspect pêche. "La mise en avant des prix et des promos est insuffisamment traitée. C'est un élément sur lequel Leroy Merlin est plus agressif avec des promotions théâtralisées à l'entrée", juge-t-il.

Le groupe Kingfisher mise sur une différenciation entre sa marque Castorama, et son enseigne discount Bricot Dépôt. Mais cette division peut aussi empêcher la première d'être plus compépétitive sur les prix.

La franchise, synonyme de "perte des acquis sociaux"?

Autre levier pour gagner des parts de marché, l'entreprise fait le pari des petits formats, aussi bien dans les centres-villes qu'en zone rurale. Des magasins compacts, de 1.000 mètres carrés, sont développés afin de mieux mailler le territoire. Au vu de la taille réduite, les produits qui ne peuvent pas être présentés sont disponibles en "click and collect".

L'entreprise veut aussi insister sur le marché des professionnels, avec l'ouverture de 15 enseignes Srewfix (destinées au BtoB et qui marchent très bien au Royaume-Uni). Elle parie sur l'efficacité et la réactivité pour s'imposer en France.

Morning Retail : Screwfix, l'enseigne anglaise de bricolage dédiée aux professionnels poursuit son implantation en France - 19/10
Morning Retail : Screwfix, l'enseigne anglaise de bricolage dédiée aux professionnels poursuit son implantation en France - 19/10
5:02

Enfin, Castorama va tester le modèle des franchises pour deux points de vente. Thierry Garnier assure avoir des reçus "de nombreux appels de gens qui veulent devenir franchisés". Pour lui il s'agit d'un moyen, à plus long terme, "d'ouvrir de nouveaux magasins". Mais sans avoir à réaliser trop d'investissements.

Un projet âprement critiqué par la fédération CGT du commerce et des services qui a dénoncé la "stratégie machiavélique" de "location-gérance" que Kingfisher souhaite "étendre lors des prochaines ouvertures de magasins en France".

Le syndicat estime qu'elle "condamne les salariés à perdre leurs acquis sociaux, au bénéfice d'un groupe avide de profits".

Pour mener ces mutations et atteindre l'objectif fixé de 5 à 7% de marge opérationnelle à moyen terme, Kingfisher a choisi Pascal Gil. Anciennement directeur pour la Pologne, il prend ainsi la tête de Castorama France. Un bon choix, selon Frank Rosenthal, qui voit en lui "un homme qui connaît le secteur et le groupe, qui a un savoir-faire sur la mise en scène de l'offre, l'agressivité promo".

"Il faudra embarquer les magasins et les équipes, il faut donc quelqu'un qui puisse fédérer", conclut le spécialiste. Pour cela, Pascal Gil devra lui-même faire preuve d'un certain esprit castor.

Marine Cardot