Faire Reussir la France: ce qu'attendent les patrons du prochain président de la République
Qu’attendent le monde de l’entreprise et les milieux économiques du prochain président de la République? Pour répondre à cette question, BFM Business la pose depuis deux mois à ces invités, les grands patrons français.
Ils et elles ont ainsi au fil des semaines, formulés plus de 50 propositions. Parmi elles, 18 d'entres elles concernent la formation et l'éducation, 18 autres la fiscalité et la compétitivité, 6 l'énergie et la transition écologique.
•Thème n°1: L'énergie et le développement durable
Concernant l’énergie, le premier à en parler, c’est Guillaume Faury, le patron d’Airbus. Confronté à la mise en crise de son modèle d’affaires, avec la hausse du prix de l’énergie et la transition énergétique à venir, il plaide pour une accélération de la transition vers les renouvelables:
"Ce dont on a besoin, c’est de grande quantité d’énergie décarbonée et principalement d’électricité décarbonée, dans les décennies qui viennent mais aussi très rapidement", plaide le patron de l'avionneur européen. Une électricité décarbonée, qu'il faudra abondante et " à des prix raisonnables". C'est même une condition essentielle pour Guillaume Faury pour réussir la transition énergétique.
"La vitesse à laquelle on décarbone n’est pas suffisante aujourd’hui", s'inquiète-t-il.
Autre sujet d’envergure concernant l’énergie, les métaux stratégiques, qui entrent dans la composition des batteries électriques. La guerre en Ukraine a jeté un doute supplémentaire sur les approvisionnements européen. L’ancien président de PSA, Philippe Varin, auteur d’un rapport cette année sur le sujet, a une idée pour la France:
"La mesure, c’est d’assurer l’autonomie stratégique en matériaux de la France et de l’Europe. Je pense qu’il faut un raw materials acts, un paquet sur les matières premières, comme le commissaire Breton en a lancé un sur les composants. Et c’est le rôle de la France, qui est présidente de l’Union Européenne jusqu’au mois de juin".
Et face aux enjeux climatiques, faut-il réformer la gouvernance, pour faciliter la transition énergétique? Le PDG de Nexans, Christopher Guérin, plaide pour que le prochain gouvernement accorde une importance accrue à l’énergie:
"Il faut absolument que le prochain gouvernement nomme un ou une ministre de l’énergie, c’est fondamental, détaché de l’écologie", réclame-t-il.
On est dans l’écologie, et les énergies décarbonées, il faut maintenant mettre en place un plan quinquennal sur l’énergie parce que ce sera un vrai, vrai dossier dans les cinq prochaines années.
Invité sur le plateau de BFM Business, Jean-Luc Petithuguenin, président fondateur de Paprec, spécialiste du recyclage a lui plaidé en faveur du nucléaire: une "chance formidable", "je suis un écolo pour le nucléaire car c'est une énergie décarbonée", a-t-il défendu. Il a également appelé à plus d'indépendance énergétique: "quand on importe du gaz de Russie, il faut penser aux conséquences, quand on a un dictateur en face de soi".
• Thème n°2: La fiscalité et la compétitivité
Sur le plan de la fiscalité et de la compétitivité, le crédit d'impôt recherche continue de faire des émules. Pour Enrique Martinez, le patron de Fnac-Darty, il faut le conserver et même le renforcer:
"Nous avons un défi énorme de transformation digitale et écologique. La France a un mécanisme de crédit impôt -recherche qui a bien fonctionné ces derniers temps. Je pense qu’il faut le garder et l’élargir pour la transition, sur le plan de l’innovation mais aussi sur le plan de la formation des équipes. Il va nous manquer des compétences pour réussir cette transition: il faut donner les moyens aux entreprises autant sur l’innovation que sur la formation", explique-t-il.
Autre levier de compétitivité qui revient souvent parmi les patrons: les impôts de production, la C3S, la CFE, la CVAE. Les industriels, qui ont un lourd foncier, réclament notamment leur baisse. Eric Trappier, de Dassault Aviation, y voit une économie potentielle de 35 milliards d’euros:
"La mesure, c’est faire baisser les impôts de production, nous sommes tous d’accord au sein de l’industrie, s’il y a une mesure que l’on pousse c’est celle-là. Et en parallèle, retrouver un niveau entre le net et le brut, avec une adaptation des charges sociales".
Pour Denis Ferrand, directeur Général de Rexecode; si on ne les supprime pas, il faut au moins les repenser: "il y a déjà eu une baisse de 10 milliards d'euros des impôts de production, il faut voir les résultats, c'est pas du jour au lendemain qu'on va pouvoir mesurer" les effets. "Il y a un point clé, c'est leur assiette qui est très peu sensible à la conjoncture. On devrait imaginer une fiscalité qui associe un peu plus la réussite de l'entreprise pour le financement des collectivités territoriales", explique-t-il.
"Il faut qu'ils soient alignés sur la moyenne européenne", souligne de son côté le patron du Meti et de Sisley: "avec les Allemands, c'est un écart de 1 à 8."
Pour Jean-Christophe Repon (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment), c'est la TVA qui pose surtout problème: il souhaite la ramener à 5,5% dans le bâtiment pour maintenir l’activité en temps de crise:
"Je sais que ce n’est pas très à la mode, mais peu importe quand on a une hausse des factures qui va arriver à cause de la hausse du prix de l’énergie, des matériaux et cette pénurie qui dure. C’est la TVA à 5,5%, qui permettrait de maintenir cette activité, moi j’ai peur que l’activité en 2022, elle baisse. Cela engagerait la rénovation, et la rénovation énergétique qui est déjà à 5,5, et ce bloc de rénovation pourrait amener et de l’emploi, et de l’activité".
Pour Philippe D'Ornano, "ce n'est pas la priorité première". "La priorité c'est de voir les points où la France à l'échelle européenne n'est pas compétitive. Les impôts de production et les charges sociales sur les salaires qualifiés sont les deux points d'écart de la France dans l'environnement européen".
•Thème n°3: L'éducation et la formation
Au centre des préoccupations des patrons interrogés, la formation initiale. La main d'œuvre se constitue dès les premières classes d’école. Et comme le souligne Frédéric Oudéa, patron de la Société Générale, des ajustements sont nécessaires:
"J’aimerais bien voir les rythmes scolaires changer - un peu moins de vacances si possible, c’est compliqué pour les parents l’été. Des rythmes scolaires plus équilibrés, avec la scolarité et des activités culturelles et sportives dans la semaine, et une recherche d’excellence. Cela veut dire que les maths c’est important, que les langues c’est important. Les enfants sont des éponges jeunes, c’est phénoménal. Nous devons nous concentrer sur le sujet de l’éducation parce que notre pays sera compétitif parce qu’on aura une main d'œuvre bien formée.
Toujours sur le sujet de la formation, les disciplines scientifiques ont la cote: il faut renforcer les compétences et le nombre d’ingénieurs formés en France. Olivier Andries, directeur général de Safran, en appelle ainsi à maintenir le niveau en maths, ainsi qu’à renforcer l’apprentissage:
"Ce qui fait la force de la France, ce sont ses compétences, notamment en termes d’ingénieurs. Donc la revalorisation des maths c’est important pour rester au niveau dans le domaine des ingénieurs et des bureaux d’étude. Et puis l’apprentissage, le gouvernement a fait beaucoup de choses ces dernières années, il faut rester dans cette voie et continuer à augmenter le nombre d’apprentis"
Une fois formés, l’un des enjeux majeurs repérés par les entrepreneurs réside dans la captation des “talents”, et dans la capacité des firmes françaises à les conserver. Un enjeu particulièrement saillant dans le numérique, comme le rappellent régulièrement les patrons de la French Tech. C’est aussi l’avis de Stéphane Nègre, le dirigeant d’Intel France:
"C’est le niveau et la quantité des ingénieurs qui sont formés. Le monde du numérique est aujourd’hui en manque de talents, c’est aussi le cas en France. Il faut que les pouvoirs publics, le système de l’éducation, nous aident à trouver ces talents, à les former, on en a besoin"
• Nasdaq européen, grand ministère du tourisme...
Sur le plan financier aussi, le mot d’ordre est à la souveraineté. Malgré la croissance d’Euronext, l’idée d’un marché financier européen, qui permettrait de mieux faire émerger des champions continentaux, a été évoquée. Notamment par Jean-Charles Decaux, patron de JC Decaux:
"On a vraiment besoin de réussir à créer une bourse en Europe pour les sociétés. Un Nasdaq européen. C’est un élément fondamental : on parle de souveraineté économique, de souveraineté numérique, de souveraineté militaire par les temps qui courent et on comprend pourquoi. Cela passe par des marchés financiers fluides, performants et qui ont la taille critique".
Si la réindustrialisation est au cœur des préoccupations des candidats à la présidentielle, reste que les services sont essentiels à l’économie française. Parmi eux, le tourisme, qui pèse un peu plus de 7% du PIB. Sébastien Bazin, le PDG d’Accor, apprécierait un soutien plus important à une filière remuée par la crise sanitaire:
"Il me faut un grand ministère du tourisme en France. Ce n’est pas compliqué, c’est pas loin de 8% du PIB, c’est plus important que l’industrie automobile, que l’industrie pharmaceutique…", plaide-t-il.
"On nous parle d’industrie tout le temps, franchement, parlons des services. Parlons d’hôtellerie, des bars, des cafés, des restaurants, de l’évènementiel. Cela va être un emploi sur 10, c’est non délocalisable, on peut donner un emploi aux jeunes, ils peuvent évoluer dans leur travail, on peut faire découvrir un pays qui est magnifique. Donc un grand ministère du tourisme, et le tourisme une priorité nationale".
La question des inégalités, et celle des salaires, reviennent régulièrement dans le débat public. Le partage de la valeur demeure une question fondamentale pour le secteur privé. A la Française des Jeux, la PDG Stéphane Pallez milite pour un meilleur intéressement des salariés au résultat des entreprises:
"Quand je regarde les chiffres, je vois que c’est quelque chose qui fonctionne mais sur 50% des salariés, donc je pense qu’il faut simplifier et élargir la participation des salariés au résultat", défend la patronne de la FDJ.