Fonds Marianne: Marlène Schiappa reconnaît "des dysfonctionnements" mais nie une implication directe
Une audition sous haute tension. Marlène Schiappa a dû répondre pendant plus de trois heures aux questions de la commission d'enquête sur l'usage du fonds Marianne. La secrétaire d'État a souvent peiné à convaincre les sénateurs.
"Je ne me dérobe pas, j'entends endosser ma responsabilité, mais rien que ma responsabilité", a-t-elle commenté d'entrée de jeu, renvoyant nombre de questions vers "l'administration" du ministère de l'Intérieur.
L'ancienne ministre déléguée à l'Intérieur jouait très gros devant les sénateurs, qui s'interrogent sur cette initiative, lancée en 2021 par ses soins après la mort de Samuel Paty, ce professeur d'histoire-géographie assassiné en octobre 2020 lors d'un attentat islamiste.
Officiellement, l'initiative avait pour objet de "financer des personnes et associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes".
Problème: la réalité du travail effectué par certaines associations, dont l'USEPPM qui a bénéficié de 355.000 euros, la plus grosse subvention attribuée, interroge. Un rapport au vitriol de l'inspection générale de l'administration (IGA) a pointé "le traitement privilégié" accordé à cette dernière, tout comme "des défaillances".
•Schiappa reconnaît que les "choses auraient pu être faites différemment"
Premier problème pour Marlène Schiappa: il n'existe aucune trace des critères précis d'attribution des subventions pour les associations lauréates du fonds Marianne ni de compte-rendus des jurys.
"On ne distribue pas de l'argent public sans rapport, il n'y a même pas un rapport simple, juste une liste d'associations avec le montant. Rien de rien. On est sur quelque chose qui n'est pas transparent. On ne verrait jamais ça dans une commune ou un département", lui a fait remarquer le président de la commission d'enquête Claude Raynal (P).
"Je n'ai jamais fait partie du comité d'attribution", s'est justifiée Marlène Schiappa qui a encore affirmé ne pas "avoir été au courant" des difficultés rencontrées par l'administration à cause de délais très courts. À peine trois semaines - un tempo imposé par l'ex-ministre - se sont écoulées entre l'appel à projet et la sélection des lauréats.
Des membres de son cabinet, dont son directeur de cabinet étaient pourtant présents lors des attributions de subventions.
"C'est extraordinaire. Vous êtes en train de nous dire qu'avec trois membres du cabinet, vous n'êtes au courant de rien de ce qu'il s'est passé pendant trois semaines", s'est agacé Jean-François Husson.
"Je ne vous dis pas que tout a été bien fait, les choses auraient pu être faites différemment", a reconnu Marlène Schiappa, évoquant des "dysfonctionnements".
•Schiappa n'est "pas la copine" de Sifaoui
Second point litigieux pour l'ancienne ministre: l'attribution d'une subvention de 355.000 euros à l'USEPPM, une association co-dirigée par Mohamed Sifaoui. Ce journaliste controversé dont le domicile a été perquisitionné ce mardi a été auditionné par la police ce mercredi, en pleine audition de la secrétaire d'État qui s'est défendue de toute proximité.
"Nous ne sommes pas amis, nous n'avons pas d'intérêt commun avec telle ou telle organisation (...) Je n'ai aucune relation personnelle d'aucune sorte, je ne suis pas sa copine", s'est défendue la membre du gouvernement.
Sans guère convaincre les sénateurs, qui ont alors pointé du doigt le fait qu'avant même le lancement officiel du fonds Marianne, l'USEPPM avait fait une demande de subvention, qualifiée "d'énormissime" par Marlène Schiappa dans un mail citée par elle-même devant le Sénat.
"Donc vous étiez bien au courant de cette demande de subvention en amont, avant la création du fonds?", a insisté le rapporteur LR Jean-François Husson.
Réponse de Marlène Schiappa: "je n’ai pas confirmé ni infirmé cette chronologie, je ne sais pas", s'est-elle justifiée, après plusieurs relances.
•Schiappa assume n'avoir pas versé de subvention à SOS Racisme
Autre gros caillou dans la chaussure pour Marlène Schiappa: l'absence de subvention pour SOS Racisme dans le cadre du fonds Marianne, décidée directement par la secrétaire d'État elle-même. Elle n'a pourtant eu de cesse de rappeler au début de son audition qu'elle n'était "pas membre du comité d'attribution".
Lui aussi interrogé par les sénateurs la semaine dernière, son ancien directeur de cabinet avait expliqué que sa patronne avait émis une "réserve" sur l’attribution d’une subvention de 100.000 euros à cette association, "en raison d’un historique de relation assez ancien".
Visiblement mal à l'aise, la secrétaire d'État a contredit ce mercredi son ancien collaborateur.
"Je pense que c'est une interprétation ou une incompréhension de sa part, qui l'amène à penser que j'ai un passif avec le président de SOS Racisme", Dominique Sopo.
"On est venus me demander mon avis sur ce projet (de subvention), je n'y étais pas favorable", a avancé l'ancienne numéro 2 de la place Beauvau.
Remarque de Jean-François Husson, le rapporteur de la commission d'enquête: "on sent du cafouillage, du mélange des genres. Vous vous tenez à l'écart mais vous décidez".
Avant d'ajouter : "factuellement, juridiquement en tant que ministre, vous faites partie du comité de sélection".
•Schiappa se dit "choquée" par l'usage fait de certaines subventions
Les sénateurs se sont également étonnés du "manque d'intérêt" de Marlène Schiappa sur la réalité concrète de ce fonds, pourtant lancé en grande pompe. L'attribution des subventions ou leur usage n'avaient ainsi jamais été officiellement communiqués.
"Vous avez la responsabilité du fonds Marianne, vous faites naître une idée et derrière, vous nous dites' je ne la suis pas, je ne la contrôle pas''. C'est étonnant quand même que vous ne vous y intéressez pas", s'est encore étonné le socialiste Claude Raynal.
"Je suis choquée quand je vois à quel point des missions n’ont en réalité pas donné lieu à des choses concrètes, ça me choque", s'est défendue Marlène Schiappa.
L'association Reconstruire en commun, lauréate du fonds, a par exemple touché 300.000 pour quelques dizaines de vidéos, visant notamment la maire de Paris, Anne Hidalgo, loin de la lutte contre la radicalisation.
La famille de Samuel Paty a dénoncé de son côté "une insulte à sa mémoire mais à aussi à celles de toutes les victimes du terrorisme et leurs familles".
"Cela me fait mal de lire ça, d'entendre ça". La gestion du fond Marianne" n'est pas respectueux pour ses proches", a regretté Claude Raynal, le président de la commission d'enquête, sans faire réagir Marlène Schiappa.
L'ancienne élue locale a conclu son audition sur une note positive, en affirmant qu'elle était "très intéressée par les conclusions des sénateurs sur une plus grande transparence de l'attribution des subventions".
"La méthode peut être améliorée, et elle le sera", a encore promis Marlène Schiappa, en rendant hommage à "tous les combattants de la lutte contre l'islamisme".
Sonia Backès, la sucesseure de Marlène Schiappa, sera auditionnée ce mercredi en fin de journée par les sénateurs avant que Mohamed Sifaoui, après 2 annulations, ne soit à son tour entendu. Les sénateurs devraient rendre leurs conclusions dans les prochaines semaines.