"Il faut qu'on y aille": au procès du 13-Novembre, le premier policier à être entré dans l'enfer du Bataclan
"Il faut qu'on y aille". Au procès du 13-Novembre, le premier policier arrivé au Bataclan quelques minutes après le début de l'attaque qui a fait 90 morts a fait revivre à une salle d'audience tenue en haleine sa terrifiante progression dans "l'inconnu".
Sur les ondes radio de la police, ce soir-là, c'est la "confusion extrême". Explosions au Stade de France, fusillades dans Paris. Les deux policiers de la BAC de nuit arrêtent leur voiture pour réfléchir. 21h47, message d'alerte pour des tirs au Bataclan. Ils sont juste à côté, ils y vont.
"Il a fallu prendre une décision".
Sur le trottoir devant la salle de concert, des barrières renversées, quelques corps et un homme au téléphone qui crie : "Vite, vite, il y a une attaque". À l'intérieur, des tirs.
"Je me dis : 'Ça y est, on y est'", raconte à la barre de la cour d'assises spéciale le commissaire, qui témoigne anonymement.
Grand, les cheveux grisonnants, il garde les mains l'une dans l'autre et le même ton monocorde tout au long de sa déposition.
"D'un coup", les portes du Bataclan s'ouvrent. "Une masse compacte a couru vers nous en hurlant". Le commissaire retient "un visage" - la terreur d'une jeune femme -, et "une voix" - un homme qui me dit : 'Dépêchez-vous il y a ma femme à l'intérieur'".
Il donne l'alerte, puis "il a fallu prendre une décision". "Devant nous, des portes battantes, l'inconnu. Nous ne connaissions pas la configuration des lieux. Une seule certitude : qu'il y avait des terroristes qui massacraient des innocents et nous attendaient avec des armes de guerre". "J'ai dit à mon équipier : 'Il faut qu'on y aille'".
"Plus un bruit"
Les spots projettent un "halo blanc" éclatant sur la salle. "Des corps, un tapis de corps, des corps partout, enchevêtrés". "Aucun mot ne peut décrire ce qu'on a vu".
"Ma première réflexion ça a été: 'Mais comment ils ont fait pour tuer autant de personnes en si peu de temps'?".
Il se souvient aussi du "contraste" entre "le chaos, les tirs" puis "plus rien, plus un bruit. La fumée des tirs flottait encore dans l'air". Le commissaire entend une voix, se retourne. Un des trois assaillants est sur la scène, il tient en joue un spectateur. "Il hurle : 'Couche-toi au sol !'".
"L'homme avance, les mains sur la tête, l'air résigné, il commence à s'agenouiller".
Les policiers se positionnent, tirent six fois "comme sur un stand". L'assaillant s'affaisse, fait exploser sa ceinture. "Une pluie de confettis" de "chair humaine". On tire sur eux mais ils prennent un instant pour dire "au revoir" à leur proche, raconte-il. "Mon équipier par SMS, moi par téléphone, 5-6 secondes maximum, sans attendre la réponse".
"C'était encore plus terrifiant"
Les policiers entreront trois fois dans la salle, en parallèle de l'intervention de la BRI qui mènera l'assaut et libérera des otages. "La première fois, c'était l'inconnu, (après) on savait. Et c'était encore plus terrifiant".
Dans la fosse, des blessés appellent, d'autres désespèrent : "Qu'est-ce que vous faites, pourquoi vous mettez aussi longtemps ?". "On entendait la mort se propager et on ne pouvait rien faire", "c'était insupportable", dit-il.
Quand les renforts de son service arrivent, ils commencent à évacuer les blessés de la fosse, "extrêmement lourds parce qu'ils avaient baigné dans le sang". Le commissaire évoque ceux qu'il a croisés. "La main qui rampait" qu'il a tiré vers la sortie. "Le visage du premier jeune homme" sauvé de la fosse. "Le petit garçon de cinq ans, son casque anti-bruit sur la tête" sorti de sous un corps.
À la fin de son exposé, un avocat des parties civiles se lève. "Ses parents sont dans la salle, je tiens à vous faire part de leur profonde reconnaissance". D'autres avocats se succèdent pour passer les mêmes messages transmis par leurs clients depuis la salle ou via la web-radio.
Les policiers quittent les lieux vers 03h30. "On a discuté, on s'est réconforté et puis au petit matin chacun est allé se coucher. Ensuite, on a essayé de revivre comme avant. Voilà". Bref silence dans la salle. C'est à la cour de poser ses questions. "Vous arrivez à revivre comme avant ?", demande le président. "Le nécessaire a été fait en termes de soutien psychologique. Mais on reste marqués à vie".