"Ils voulaient punir la France pour ce qu’elle est": François Hollande démonte les théories de Salah Abdeslam sur le 13-Novembre
"Bonjour M. le président." "Bonjour M. le président." Le témoignage de François Hollande au procès des attentats du 13-Novembre a débuté par un échange léger entre l'ancien chef de l'État et le président Periès. Un échange qui tranche avec le ton solennel, grave, parfois agacé, pris par François Hollande pendant ces plus de quatre heures d'audition devant la cour d'assises spéciale de Paris.
"Je le dois à toutes les victimes", a lancé François Hollande en préambule de sa déclaration. Lui est venu pour "expliquer quel était [son] rôle" le soir des attentats, "témoigner de [ses] décisions", et "justifier l'engagement de la France dans la lutte contre le terrorisme islamique. Je répondrai à toutes les questions", promet-il, alors que son audition était dénoncée par certains avocats de la défense qui avaient déposé une requête, rejetée par la cour, pour faire annuler sa citation, la jugeant inopportune pour la manifestation de la vérité.
La France frappée pour ce qu'elle représente
Une question était centrale pour l'ancien chef de l'État: pourquoi la France a-t-elle été frappée par les commandos des terroristes? François Hollande a voulu balayer les thèses avancées par les kamikazes du Bataclan puis par Salah Abdeslam, dans le box des accusés le 15 septembre, qui assurent avoir attaqué la France à cause de son intervention en Syrie et des bombardements de la population civile.
"Ce groupe pseudo-étatique nous a frappé non pas pour ce que nous faisions, mais pour ce que nous représentons, ce groupe nous a frappé non pas pour nos modes d'action à l'étranger, mais pour nos modes de vie ici-même", balaie d'emblée de jeu l'ancien chef de l'État.
Pour appuyer son propos, François Hollande use de dates. La cellule terroriste s'est créée en juin 2014, l'intervention de la France en Syrie a été décidée le 7 septembre 2015 et la première frappe n'est intervenue que le 27 septembre 2015. "Cela veut dire que le commando qui s'apprêtait à nous attaquer s'est préparé bien avant que je donne l'ordre d'intervenir en Syrie", martèle-t-il. À l'inverse, l'ex-chef de l'État dit avoir agi en réaction aux actions de l'État islamique: "On nous a fait la guerre, nous avons répondu."
Échanges tendus avec la défense de Salah Abdeslam
Cette chronologie "ennuie" Me Olivia Ronen. L'avocate de Salah Abdeslam relève que la France intervient en Irak en septembre 2014 pour lutter contre Daesh en participant à des raids aériens dans le cadre de l'opération "Chammal". "Les phrases prononcées par les auteurs des attentats sont des phrases en lien avec la Syrie", rétorque, agacé, l'ancien président de la République.
Cet échange avec Me Ronen a viré à l'affrontement quand cette dernière a interrogé, de manière pressante, l'ancien chef de l'État sur les possibles victimes collatérales des frappes françaises en Syrie. "Vous établissez un lien entre ce que nous faisons et l'attaque dont nous sommes la cible", se défend François Hollande, assurant ne pas "avoir eu connaissance" de victimes parmi la population civile en Syrie. Lui qui assure que les frappes visaient à détruire uniquement des camps d'entraînement de Daesh.
"Les questions que je vous pose ne visent pas à légitimer un quelconque attentat mais elles visent à ne pas laisser de vides, sinon les vides sont remplis par autre chose", maintient l'avocate de Salah Abdeslam. L'accusé reste muet jusqu'à la toute fin d'audition, où il tente de prendre la parole avant d'être repris par le président de la cour d'assises: "si vous avez des questions, passez par vos conseils", tranche Jean-Louis Periès.
"À la deuxième explosion..."
De ce 13 novembre 2015, François Hollande garde "des images gravées dans [sa] mémoire". Ce soir-là, il était au Stade de France, une venue décidée au dernier moment alors qu'une réunion s'est achevée de manière anticipée. "Lorsque la première détonation a retenti, j'ai immédiatement pris conscience que l'on pouvait être devant la réalité d'un attentat, dit l'ancien président. À la deuxième explosion, je n'avais plus de doute."
"Omniprésent dans ce dossier", comme l'a rappelé un avocat, François Hollande ne se considère pas comme une cible pour les terroristes, lui qui est cité par ces derniers dans leur message de revendication. "Ils voulaient punir la France pour ce qu’elle est, ils m’ont cité pendant les attentats. Pourquoi n’ont-ils pas attaqué les autorités? Ils n’ont pas frappé des casernes, des commissariats", développe l'ancien président.
"Ils ont frappé des terrasses, un concert, un stade, ces lieux sont notre fardeau et notre drapeau", poursuit-il.
Aurait-il pu anticiper ces attaques? "La menace est bien antérieure", reconnaît François Hollande, mais "chaque jour nous étions sous la menace, le 12 novembre comme nous aurions pu l'être le 14". Aux avocats des parties civiles qui l'interrogent sur l'éventualité que ces attaques aient pu être évitées, l'ancien président assure qu'il se confesserait et qu'il demanderait "pardon" si c'était le cas, disant comprendre le besoin d'explications et de compréhension des victimes.
"J'ai toujours eu toutes les informations sur la gravité de la menace, sur son ampleur, sur la détermination des groupes qui nous faisaient la guerre, sur la réalité qu'était Daesh. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour suivre ces individus, y compris les frapper là où ils étaient, mais nous n'avions pas, hélas, l'information qui aurait été décisive pour empêcher les attentats du 13 novembre."
"Pas d'informations particulières" sur le Bataclan
Cette argumentation en convainc pas Me Olivier Morice, l'avocat de plusieurs familles de victimes, qui rappelle que le Bataclan faisait l'objet de menaces dès 2009. "Nous n'avions aucune information particulière sur le Bataclan en 2015", rétorque François Hollande, rappellant que les menaces étaient à caractère antisémite. Pourquoi ne pas avoir été plus vigilant quant à la sécurité des lieux de spectacles, alors qu'il existait des risques visant les salles de concert de rock?
"Nous n'avions pas d'information particulière pour mettre un dispositif particulier de surveillance, sinon nous aurions interdit tous les concerts ce soir-là, maintient l'ancien chef de l'État. Ce qu'ils voulaient, c'était tuer le maximum de personnes, c'était ça leur mission, tuer, tuer, tuer le maximum de monde. S'il avait fait froid ce soir-là, ils auraient visés d'autres lieux. Le Bataclan a été choisi mais d'autres lieux auraient pu être choisis."
François Hollande reconnaît toutefois "un échec quand il y a un attentat. Mais combien ont été déjoués", insiste-t-il, saluant le travail des services de renseignement. "J'ai été exigeant à l'égard des services, des forces de police, ces services ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour repérer, identifier, neutraliser", conclut-il.