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"Incarnation de l'innovation" ou "aberration écologique": Canua Island ouvre au public après plus d'un an de polémiques

Une plage luxueuse flottante, une aberration écologique ou encore une incarnation de l'innovation: la plage Canua Island a beaucoup fait parler sur la Côte d'Azur depuis plus d'un an. Après avoir été abandonnée, la plateforme ouvre finalement ses portes le 13 juillet.

À quelques jours de l'ouverture au grand public de la plage flottante Canua Island à Mandelieu-la-Napoule, les porteurs du projet peuvent le dire: ils reviennent de loin. La plateforme a commencé à se faire connaître du grand public en mars 2023, bien que le projet était sur les rails depuis sept ans. Il a finalement connu une forte opposition d'élus, d'associations, et même des commerçants sédentaires.

Il y a quelques mois, le projet a presque dû être abandonné face à la contestation. Finalement, il va bien définitivement se concrétiser près d'un an et demi plus tard. C'est fin mai 2024 que la plage a quitté son site de production en Italie, par la mer, pour rejoindre le large de Toulon puis le golfe de Mandelieu. Les porteurs de projets avaient pourtant, quelques mois plus tôt, annoncé un début d'activité "en mai".

Un navire-plage de 1.750m2

Dès le début, Canua Island se félicitait de pouvoir offrir une expérience nouvelle, comme un moment au restaurant au calme à 600 mètres du littoral de Mandelieu-la-Napoule. La plateforme de 1.750m2 est posée sur un trimaran à moteur et comprend également une piscine d'eau douce et un bar-lounge, de quoi accueillir 350 personnes. Le coût total est de 16 millions d'euros.

Près d'une centaine d'employés devaient travailler sur la plage flottante. Un projet fou imaginé par Marc Audineau, ex-numéro un mondial en dériveur et ex-athlète olympique, ainsi que le Fidjien Tony Philip, ex-champion du monde de planche à voile, qui a déjà réalisé un projet semblable baptisé "Cloud 9" aux îles Fidji.

Les fondateurs ont tout de suite assuré qu'ils défendaient un projet respectueux de l'environnement, car la plateforme utilise du biocarburant et respecte alors la réglementation en vigueur liée à la taille de leur navire. Ils assurent que l'île "n'abîmera pas la posidonie"

Une vive opposition de toute part

Dès l'annonce de ce projet, les voix contre Canua Island se sont rapidement fait entendre. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur a pointé du doigt un projet "qui n'a absolument aucun sens" et a refusé de le financer.

"On a une pollution globale, une pollution visuelle. Tout ce qu’il ne faut pas faire est dans ce projet", indiquait-elle.

La mairie de Cannes a quant à elle jugé le projet déloyal vis-à-vis des établissements de la ville. Elle note également les risques de nuisances mais aussi l'impact environnemental de la plage flottante.

L'État a tout de suite, en la parole du secrétaire d'État chargé de la Mer Hervé Berville, estimé que la plateforme était "peu compatible avec la nécessité de renforcer la protection de l'environnement marin".

Les associations écologistes, comme Terre Bleue ou encore Syllau, ont elle aussi fustigé une aberration écologique et ont tout de suite demandé l'arrêt du projet au nom de "la protection de l'environnement, la protection des abris de posidonie, la pollution, le traitement des déchets, les ressources, les nuisances".

Le maire de Mandelieu-la-Napoule en soutien

Toutefois, le maire de Mandelieu-la-Napoule Sébastien Leroy a toujours été ouvert au projet. En 2023, il voit Canua Island comme une "incarnation de l'innovation et du savoir-faire français".

"Ce projet offre à chaque citoyen la possibilité de vivre une expérience en mer et de découvrir le milieu marin comme ne peuvent le faire que certains hyper privilégiés", a-t-il lancé sur BFM Nice Côte d'Azur en avril 2023.

Du côté des hôteliers et des restaurateurs du littoral aussi, on grince des dents. La plateforme n'étant pas soumise au versement d'un loyer, ni aux mêmes règles et taxes, les commerçants estiment qu'il existe un vrai manque d'égalité dans l'accueil de Canua Island au large de la Méditerranée.

Le maire azuréen, lui, évoque au contraire un projet qui "contribue à l'attractivité d'un territoire dont l'économie dépend en grande partie du tourisme". Il estime également que Canua Island possède des contraintes économiques qui lui sont propres, comme la dépendance à la météo par exemple.

Un projet abandonné à la veille de l'été

Le 31 mai 2023, le président de Canua Smart Island Riviera Jean-Bernard Falco annonce sur BFM Toulon Var que l'installation était due "dans les heures et même les jours qui viennent". Seule une autorisation manque pour pouvoir jeter l'ancre: un permis d'armement.

Néanmoins, l'autorisation traîne. Canua Island dénonce une "obstruction et aberration politique". L'attente de ce permis commence à "mettre en péril" l'entreprise, dénoncent alors les porteurs du projet dans un communiqué. Le licenciement de l'ensemble des collaborateurs est évoqué.

Finalement, la nouvelle tombe le 13 juin: les fondateurs de Canua Island sont contraints d'annoncer l'abandon du projet et le licenciement de tous les employés. Autre coup dur: les fondateurs sont forcés de rembourser les 5 millions d'euros investis par leurs actionnaires.

De son côté, Renaud Muselier ne cache pas sa satisfaction de savoir que la plage artificielle restera à quai. Mais Marc Audineau l'affirme "le projet, on ne l'abandonne pas, on va continuer à attendre les autorisations".

L'État ordonné de délivrer les autorisations

S'en suit un été sans activité, une réelle désillusion pour les porteurs de Canua Island. Néanmoins, le projet renaît fin novembre, à la suite d'une décision du tribunal administratif, qui reconnaît comme illégal le refus de délivrer le permis d'armement du navire. Il ordonne à l'État de le délivrer sous deux semaines.

"La décision est bonne mais le sentiment reste très mitigé", confie alors Marc Audineau à BFM Nice Côte d'Azur. Tout est à refaire: organisation, recherche d'investisseurs, embauches... "cela a des coûts économiques importants".

Le maire de Mandelieu-la-Napoule s'est positionné "toujours favorable (au projet) en l'état" mais reste réaliste. "Il faudra qu'on en reparle parce qu'il y avait tout un projet qui était monté à l'époque qui n'est plus la réalité d'aujourd'hui."

En décembre, le Conseil d'État fait écho à la décision du tribunal, malgré l'opposition du gouvernement et de la préfecture des Alpes-Maritimes.

Une ouverture huit ans après la génèse du projet

Finalement, Canua Island sort la tête de l'eau. Avec toutes ses autorisations en poche, elle recrute de nouveau du personnel en avril dernier. Les dernières vérifications se déroulent sans encombre au port de La Seyne-sur-Mer.

Les fondateurs du projet estiment pouvoir jeter l'ancre "à partir de mai". Et contrairement à l'an dernier, la promesse est tenue. Une inauguration pour des événements privés a eu lieu le 16 mai, à Mandelieu-la-Napoule, comme pour fêter la fin de multiples déboires juridiques, malgré des habitants et des restaurateurs toujours divisés sur le projet.

Le lendemain, une vingtaine de maires azuréens ont signé une tribune pour s'opposer à l'île artificielle. Parmi eux, Christian Estrosi, l'édile de Théopule-sur-Mer Georges Botella ou encore la maire de Saint-Tropez Sylvie Siri et celle de Toulon Josée Massi.

Rien qui n'a freiné l'île flottante, car cette dernière a annoncé le mardi 9 juillet qu'elle allait enfin ouvrir au public quatre jours plus tard. "L'attente est terminée!", se félicite l'équipe sur les réseaux sociaux de Canua Island. La fin, peut-être, d'un long feuilleton pour les fondateurs.

Juliette Moreau Alvarez