Interdire le téléphone avant 11 ans: pourquoi c'est si compliqué
Emmanuel Macron a plaidé ce 12 juin pour l'interdiction du téléphone avant 11 ans et des réseaux sociaux avant 15 ans. Entre le contrôle de l'âge lors de l'achat d'un mobile ou pour la souscription d'un forfait téléphonique, les applications théoriques posent des questions pratiques et juridiques.
"Tous les experts le disent, l'addiction aux écrans est le terreau de toutes les difficultés: harcèlement, violence, décrochage scolaire", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse pour lancer la campagne des élections législatives anticipées.
Ces mesures s'inscrivent dans les recommandations du rapport remis fin avril par une commission d'experts sur l'impact de l'exposition des jeunes aux écrans, qui préconise d'interdire l'usage des écrans et des téléphones portables aux plus jeunes et d'en limiter drastiquement l'accès pour les adolescents.
Des discussions mais pas de solutions
Parmi les "mesures opérationnelles" proposées par la commission, la déclaration "systématique" de la date de naissance de l'utilisateur lors de l'achat d'un smartphone et de la souscription à un forfait, ou encore l'étiquetage "sur l'ensemble des smartphones" achetés en France de la mention "ne convient pas aux moins de 13 ans". Le rapport préconise également la permission "à partir de 15 ans" d'un accès aux réseaux sociaux éthiques.
"Il faut un âge pour la majorité numérique, ça protège", a répété Emmanuel Macron, mercredi, alors que le projet d'instaurer une majorité numérique à 15 ans figurait déjà dans le programme de la majorité pour les européennes.
En avril, la secrétaire d'Etat en charge du Numérique, Marina Ferrari, avait réuni à Bercy les acteurs du secteur pour discuter d'une solution technique pour contrôler l'âge des internautes souhaitant accéder à certains sites.
Déjà soulevée par l'interdiction d'accès des mineurs aux sites porno, la question du contrôle de l'âge des utilisateurs, et plus généralement de l'identité numérique, a trouvé quelques réponses techniques disponibles sur le marché.
Certaines applications, comme le réseau social français Yubo, font appel à la société britannique Yoti, qui a développé un système d'évaluation de l'âge à partir d'une photo, fondé sur l'intelligence artificielle. Mais le déploiement de ces outils reste rare car, au-delà de leurs aspects techniques, ils doivent être conformes à des exigences légales.
Des restrictions possiblement contournées
La Cnil signale ainsi que le contrôle de l'âge conduit "à collecter des données personnelles et présente des risques pour la vie privée". Conformément au Règlement européen de protection des données (RGPD), des outils comme la reconnaissance faciale voient leur usage très limité.
En outre, les restrictions sur l'âge, même imposées par l'Etat, peuvent être contournées: les parents peuvent toujours déjouer l'interdiction du téléphone avant 11 ans en laissant leurs enfants utiliser leurs propres terminaux.
"Légiférer dans l'espace privé, c'est compliqué, on ne va pas rentrer dans les familles et interdire", avait notamment relevé le psychiatre addictologue Amine Benyamina, co-président de la commission spécialement missionnée en janvier par le chef de l'Etat pour plancher sur le sujet.
Voie médiane, des outils de limitation du temps d'écran pour les mineurs sont déjà disponibles sur certaines applications ou téléphones et sont d'ailleurs listés sur un site gouvernemental.
Les parents peuvent ainsi limiter le temps passé sur Instagram ou TikTok, définir une limite de connexion en ligne sur les iPhone ou les consoles Nintendo, ou installer une application de contrôle parental développée par Google, permettant de restreindre la durée globale en ligne ou par application.
Une mesure inédite en France?
Meta a, de son côté, introduit une fonctionnalité "notification tardive" qui apparaît "automatiquement" sur le compte Instagram des utilisateurs mineurs en cas d'utilisation entre 22H00 et 4H00, pour les encourager à fermer l'application.
Rendre obligatoire l'adoption de ces outils nécessiterait toutefois de faire peser cette responsabilité légale sur les applications ou les parents.
"Techniquement, l'Etat pourrait demander aux applications de bloquer l'accès à partir d'un certain temps", avait indiqué en janvier Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication, à l'AFP.
Il avait ajouté que la question serait davantage celle du fondement juridique et de l'acceptabilité sociale d'une telle obligation. "Ce type de mesure serait inédit dans un pays européen démocratique".