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"J'ai fait mon devoir": comment Sonia a permis d'arrêter les terroristes du 13-Novembre

Quelque jours après les attentats du 13-Novembre, Sonia a permis à la police d'arrêter les auteurs avant qu'ils ne frappent à nouveau. Alors qu'elle a changé d'identité et demeure son projection, elle s'est confiée à BFMTV dans le podcast "L'instant où...".

En 2016, pour la première fois en France, une personne obtient le statut de témoin protégé. Cette femme, connue sous le nom de Sonia, est celle qui a permis la capture des auteurs des attentats du 13 novembre 2015. Ses informations cruciales ont été déterminantes dans la capture d'Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh alors qu'ils s'apprêtaient à frapper le quartier de la Défense à Paris. Huit ans après, elle reste en danger. Malgré tout, elle a exceptionnellement accepté de témoigner dans le podcast "L'instant où... j'ai stoppé les terroristes du 13-Novembre" de BFMTV.

L’instant où… j'ai stoppé les terroristes du 13 novembre
L’instant où… j'ai stoppé les terroristes du 13 novembre
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C'est bien le hasard qui a conduit Sonia à cette situation tragique. D'un naturel généreux, la mère de famille a toujours tendu la main aux gens dans le besoin, même aux inconnus. La vie a un jour placé sur son chemin Hasna. Elle l'héberge de temps en temps pendant sept ans. Une fille "drôle", "folle" et "imprévisible", comme elle la décrit. Une femme abîmée par la vie qui aimait le risque et "les soirées alcoolisées, la drogue...". Autre preuve de sa personnalité: "elle jouait à la roulette russe!" En clair: elle "avait le chic pour se ramener des problèmes".

C'est le 13 novembre 2015 que les vies de Sonia et Hasna ont basculé pour de bon. Elles étaient devant leur télévision et regardaient la rencontre de football France-Allemagne au stade de France quand les explosions ont retenti. La première était terrifiée, craignait pour la vie de ses proches présents à Paris. La deuxième, elle, était "toute excitée", prise dans un étrange mélange d'exaltation et de soucis.

"Je suis quelqu'un de très émotive, j'ai versé une larme. Hasna m'a dit: 'ils n'ont qu'à mourir, ce sont tous des mécréants'", raconte Sonia

Le dangereux cousin de Syrie

Sonia connaissait les problèmes de son invitée et avait remarqué qu'elle avait changé au fil des années. Alors qu'à son arrivée elle portait un simple voile, peu de temps avant les attentats, elle a commencé à arborer le niqab. "Le costume des talibans, c'était plus que le voile, on ne voyait plus que ses yeux", raconte Sonia. "Je lui ai dit, on dirait Dark Vador, enlève ça". Les deux femmes sont croyantes, mais ne pratiquent pas l'Islam au même degré, Hasna semblait, en écoutant ce témoignage, plus rigoriste.

Au lendemain des attaques, alors que Sonia était encore prise de stupeur et d'horreur, Hasna a reçu un étrange coup de fil de l'étranger. À l'autre bout du fil, une voix lui demandant d'aller chercher son cousin syrien, qui se retrouvait soi-disant dans le besoin en région parisienne. Après avoir montré sa réticence, Sonia a accepté de suivre Hasnia pour l'aider.

"S'il a fait une bêtise, on l'amène directement au commissariat", a averti Sonia.

Au moment de récupérer le cousin - qui s'est avéré être nulle autre que le terroriste Abdelhamid Abaaoud - Hasna a enfilé son niqab, un choix qui a "apostrophé" Sonia, qui était pour sa part vêtue d'un simple jean et d'une doudoune. S'en est suivi une séance de déambulations à la recherche du "cousin", uniquement guidées par une mystérieuse voix au téléphone. "On marche comme des connes, on est sur un rond-point à Aubervilliers (...) il n'y a rien à part une baraque à frites", se rappelle avec humour la témoin.

Au bout de quelques instants de marche, alors qu'elle pensait être en plein "vidéo gag", elle a incité son amie à retirer sa "tenue de Dark Vador" et à faire demi-tour. C'est là qu'elles ont fait une rencontre qui a changé leurs vies, pour le pire. Face à elles, "un mec, la trentaine", affublé de baskets oranges, un bomber vert et un bob sur la tête. "Je suis restée figée sur les baskets, tout était dépareillé". Un détail qui s'est avéré crucial pour la suite.

"Je voulais juste partir, rentrer chez moi, appeler la police"

Cette rencontre avec Abdelhamid Abaaoud, elle la raconte avec un air moins assuré. Après lui avoir serré la main, Sonia a pris son courage à deux mains et demandé s'il avait participé aux événements tragiques survenus plus tôt. "Oui", répondit-il sobrement, les mains encore couvertes de sang.

"J'ai pris ma main, je l'ai cachée et je me suis dit: 'oh mon Dieu, quand je rentre, il faut que je la lave à la javel".

Face à l'assaillant, elle a regretté de ne pas avoir fait demi-tour plus tôt. "Si j'avais su qui s'était, je me serais sauvée. J'aurais pris une balle dans le dos mais je me serais sauvée quand même", raconte-t-elle. Sans surprise, sa rencontre lui a fait "peur, très peur". L'homme proférait des menaces contre elles, pour la dissuader de le dénoncer, mais aussi contre les Français. "Je voulais juste partir, rentrer chez moi, appeler la police et leur dire que le taré était là-bas". Mais à la place, le stress et l'adrénaline font qu'elle a confronté le terroriste.

"J'ai joué avec ma vie sans m'en rendre compte, parce que j'essayais de comprendre. J'ai essayé de savoir, j'ai posé des questions que je n'aurais peut-être pas dû poser. J'ai peut-être trop parlé avec lui, je lui ai demandé pourquoi ils avaient fait ça, je lui ai dit que c'était haram, qu'il ne fallait pas le faire, que l'Islam dit pas de ne pas tuer", assure-t-elle.

Devoir citoyen

Sonia est sortie indemne de son échange avec Abdelhamid Abaaoud, physiquement au moins. Elle n'a finalement pas ramené chez elle le terroriste. À la place, Hasna a été tâchée de trouver une nouvelle planque pour son cousin. Deux jours après l'attentat, en profitant d'une absence de la femme qu'elle hébergeait, Sonia s'est armée de courage pour appeler les autorités:

"Le matin, j'allume BFMTV et je vois la tête d'Abdelhamid qu'on croit en Syrie. Je me dis 'c'est une blague? Je l'ai vu en chair et en os'. (...) Je voulais appeler la police, mais j'étais tellement traumatisée que je ne trouvais pas le numéro"

Finalement, après une recherche internet, elle retrouve la ligne dédiée: 197. Elle compose le numéro, puis est envoyée de services en services. Un élément de son témoignage a fini par lui donner du crédit, les baskets oranges, une information qui n'était pas disponible dans la presse. Après quelques heures d'attente, Sonia a été convoquée dans les locaux de la sous-direction antiterroriste (SDAT), dans les locaux de la DGSI. Elle y livre son témoignage crucial. Celui qui a permis de localiser les auteurs. Après cela, elle est rentrée chez elle, comme si de rien n'était.

Quelques jours plus tard, grâce à ses informations, le RAID donne l'assaut sur un appartement occupé par les deux assaillants Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh... mais aussi Hasna Aït Boulahcen. L'intervention a duré sept heures, ils y ont tous les trois perdu la vie. Sans trop d'émotion dans la voix, Sonia précise qu'elle ne voulait pas que ceci arrive:

"J'aurais préféré qu'elle ne soit pas morte, qu'elle assume ses actes"

Huit ans après tout cela, la perte, le changement de vie, le danger, Sonia a-t-elle des regrets? "Aucun". "Il ne faut jamais regretter ce qu'on fait. Je pense que celui qui voit et qui se tait est tout aussi lâche que celui qui commet", estime-t-elle. Sans son intervention, les terroristes auraient peut-être frappé une nouvelle fois, ceux-ci prévoyant une attaque contre le quartier de la Défense. "J'ai fait mon devoir de citoyenne, c'est normal. Pour moi, c'est logique".

Dominique Rizet avec Tom Kerkour