"Je n'ai pas envie d'agoniser": en fin de vie, ces patients réclament une aide active à mourir
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Frédéric a déjà programmé sa mort. Atteint d'une sclérose en plaques, cet informaticien de 57 ans, résident dans un Ehpad du Nord, "ne veu(t) pas connaître le stade final de la maladie", explique-t-il à BFMTV.com. Diagnostiqué il y a treize ans après de premiers symptômes - des pertes d'équilibre et de contrôle du pied lors de la marche - il n'a pu que constater, impuissant, l'évolution rapide de la maladie. Aucun traitement ne guérissant la sclérose en plaques.
"Je n'ai plus qu'un usage partiel de mon bras et de ma main gauches", relate-t-il. "Je peux encore manipuler mon fauteuil roulant électrique et mon téléphone portable." Mais certains jours, il ne parvient plus à boire seul. "Je vois bien que je suis en train de perdre l'usage de ma main. Mes doigts se rétractent."
Il y a quatre ans, Frédéric annonce à son épouse et ses trois enfants que le jour où il "n'en pourrai(t) plus physiquement et psychiquement", il se rendrait en Belgique, où l'euthanasie est légale. Les démarches ont été lancées en décembre dernier. Le départ est programmé pour cet été. Il se sent depuis "beaucoup plus détendu, délivré même".
"Je ne sais pas quelle serait l'échéance exacte de la maladie mais je ne veux pas finir dans un coin comme une plante verte", résume-t-il.
Car en France, l'aide active à mourir - qu'il s'agisse d'euthanasie ou de suicide assisté - reste pour l'heure interdite.
"Macron nous prive d'une fin de vie sereine"
Dans une interview à Libération et La Croix publiée ce dimanche 10 mars, Emmanuel Macron a annoncé que le projet de loi sur l'"aide à mourir" - une de ses promesses de campagne - sera présenté en avril prochain, après de multiples reports. À l'issue de la convention citoyenne organisée sur le sujet, le chef de l'État l'avait annoncé "d'ici la fin de l'été 2023".
Cette convention s'était largement prononcée en faveur de l'euthanasie ou du suicide assisté, comme plus de huit Français et Françaises sur dix, selon un sondage réalisé pour Le Point l'année dernière. Mi-septembre, Olivier Véran annonce une "avancée importante" d'ici la fin du mois.
En visite à Marseille à ce moment-là, le pape François met en garde contre "la perspective faussement digne d'une mort douce". Le projet de loi est ensuite reporté à 2024. "Fin février", annonce en décembre Agnès Firmin Le Bodo, alors ministre déléguée aux Professions de santé.
Quelques jours plus tard, alors que la chanteuse Françoise Hardy - atteinte d'un cancer du pharynx depuis plusieurs années - écrit une lettre demandant au président de la République de relancer les discussions sur la fin de vie. Emmanuel Macron lui répond et promet finalement l'arrivée du projet en conseil des ministres "en mars ou avril". Il "pourra être examiné à l'Assemblée à compter du 27 mai", a précisé le Premier ministre Gabriel Attal ce lundi.
Un calendrier sans cesse reporté qui indigne Loïc Résibois, 46 ans, atteint de la maladie de Charcot, une maladie neurodégénérative grave sans aucun traitement curatif. "Emmanuel Macron nous prive d'une fin de vie sereine", dénonce-t-il pour BFMTV.com. "Des dizaines de milliers de malades condamnés se retrouvent pris en otage de son indécision."
"Pas encore mort mais plus tout à fait vivant"
S'il milite pour la légalisation de l'aide active à mourir et témoigne de son quotidien, notamment sur sa page Instagram, Loïc Résibois reconnaît ne pas être en mesure de prévoir quand il aura franchi la limite du supportable. "Je ne veux pas mourir", assure-t-il. "Ce que je demande, c'est de pouvoir partir quand la maladie aura pris trop de place." Une "sécurité", précise-t-il, si un jour il n'était "pas encore mort mais plus tout à fait vivant".
"Avec la maladie de Charcot, vous vous éteignez chaque jour un peu plus. Et vous pouvez rester des mois dans un lit sans pouvoir bouger. Mais est-ce encore une vie?"
Car depuis le diagnostic en septembre 2022, il sait que le temps lui est compté. "Le plus dur a été d'apprendre qu'il me restait trois à cinq ans à vivre", se souvient cet administrateur territorial de 46 ans.
Avec la sclérose latérale amyotrophique (SLA), l'autre nom de la maladie de Charcot, tous les muscles, y compris pulmonaires, se paralysent progressivement. "Je sais que plus le temps passe, plus la maladie va prendre du poids. Les mois, les jours qui sont au fur et à mesure de plus en plus difficiles", constate Loïc Résibois.
"J'ai (récemment) revu quelqu'un que je n'avais pas vu depuis septembre", illustre-t-il. "À l'époque, je marchais encore." Aujourd'hui, le quadragénaire et père de deux enfants est en fauteuil roulant électrique et dépendant de l'aide de son épouse pour tous les gestes du quotidien - sortir de son lit, s'habiller, aller aux toilettes, se doucher ou se nourir. Ce qui l'inquiète: son élocution commence à être touchée.
101 Français euthanasiés en Belgique en 2023
Dans l'interview publiée ce dimanche, Emmanuel Macron a détaillé sa position sur la fin de vie. Dans ce projet de loi pour une "aide à mourir" sous "conditions strictes" - Emmanuel Macron n'a pas souhaité conserver les mots "euthanasie" ou "suicide assisté" - les personnes concernées pourraient se voir prescrire un produit létal à s'administrer seul ou avec assistance.
Les patients devront être majeurs, "capables d'un discernement plein et entier", atteints d'une "maladie incurable" avec "pronostic vital engagé à court ou moyen terme" et subissant des souffrances "réfractaires", c'est-à-dire qui ne peuvent être soulagées. Les mineurs et les personnes atteintes de maladies psychiatriques ou neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer, en seront exclus.
Insuffisant, déplore François Guillemot, médecin et coordinateur médical pour l'association Le Choix, qui milite pour la légalisation de l'aide médicale active à mourir. "Même si cette loi était votée, elle n'apporterait pas grand chose", assure-t-il à BFMTV.com. "Dans la plupart des pathologies neurologiques, le pronostic vital n'est pas engagé à court ou moyen terme."
"À part pour les personnes qui souffrent de cancers en stade très avancé ou terminal, ça ne sera pas une révolution."
L'année dernière, François Guillemot a accompagné bénévolement une soixantaine de patients français dans leur demande d'euthanasie en Belgique. Dix d'entre eux sont allés jusqu'au bout de leur démarche.
La loi belge autorise l'euthanasie si elle est pratiquée par un médecin pour les patients conscients capables d'exprimer leur volonté - demande qui peut prendre la forme d'une déclaration anticipée. Ils doivent se trouver dans une situation médicale sans issue ou faire état d'une souffrance physique et/ou psychique "constante, insupportable et inapaisable", que cette souffrance résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave ou incurable, détaille le service fédéral belge en charge de la santé.
"Les patients français qu'on accompagne en Belgique sont parfois simplement rassurés de savoir qu'ils ont cette possibilité", remarque François Guillemot. "Seule une personne sur quatre va vraiment jusqu'au bout." En 2023, ce sont 101 Français qui ont bénéficié d'une euthanasie en Belgique, d'après la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation.
Une "porte de sortie digne"
Aurélie Daunay, une professeure de lettres de 45 ans, fait partie de ces patients français qui se sont tournés vers la Belgique. Elle a reçu en janvier une réponse favorable. "Quand j'ai su que ma demande était acceptée, ça a été une libération", confie-t-elle à BFMTV.com. Elle se dit "soulagée".
"Aujourd'hui, j'ai beaucoup moins peur. Je sais que le jour où ça ne sera plus supportable, j'aurai une porte de sortie digne."
Car elle souffre depuis quatorze ans d'un cancer des cordons sexuels à tubules annelés, une tumeur ovarienne rare et incurable. "C'est un cancer lent mais qui ne cesse de progresser." Après dix ans de chimiothérapie, huit opérations dont trois lourdes, plusieurs essais cliniques et de nombreuses séances de radiothérapie, elle a décidé fin 2021 d'arrêter les traitements.
"Les tumeurs reviennent malgré les opérations", explique-t-elle. "Mais aujourd’hui, je suis inopérable et il n'y a plus rien à faire. J'ai compris que j’arrive à la fin."
Elle est à présent sous oxygène et reçoit tous les mois une équipe mobile de soins palliatifs pour tenter de la soulager. Elle subit également tous les quinze jours des ponctions d'ascite - un liquide présent en grande quantité dans son abdomen du fait de son cancer.
"Je ne me projette plus qu'en semaines. Je sais que mon état va se dégrader, mais je ne sais pas comment."
"Je n'ai pas envie d'agoniser"
En attendant une éventuelle évolution de la législation, Aurélie Daunay ne peut compter que sur loi Claeys-Léonetti de 2016, qui ouvrait de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Elle la juge largement insuffisante. Notamment en ce qui concerne "l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie" et la sédation "profonde et continue jusqu'au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme", selon les termes du texte.
"Dans mon cas, je sais que je vais mourir lentement. Mais je n'ai pas envie d'agoniser. Et puis qu'est-ce que ça veut dire, que je vais devenir un légume? Que je vais mourir dénutrie ou de déshydratation? Où est la dignité humaine?" La loi actuelle précise en effet que l'hydratation et la nutrition artificielles sont des traitements, qui sont donc arrêtés.
"Il est absolument hors de question que mon mari me voie dans cet état. Cette idée m'est insupportable."
Si elle estime que ce n'est pas à la Belgique de "combler les lacunes de la France", elle se dit contrainte de prendre ses dispositions. "Je n'ai pas envie qu'on décide à ma place ce qui serait bon pour moi." Loïc Résibois, quant à lui, refuse de se tourner vers l'étranger. "Je veux pouvoir mourir dignement en France."