"Je ne comprends rien à part que je vais mourir": les otages du Bataclan racontent leur face-à-face avec les terroristes
"C'est vrai que c'est étonnant, mais j'ai l'impression qu'on s'est tous mutuellement sauvé la vie car personne n'a craqué ce soir-là." Grégory résume l'état d'esprit des onze personnes qui ce vendredi 13 novembre 2015 ont été les otages de Ismaël Omar Mostefaï et Foued Mohamed-Aggad, deux des trois terroristes du Bataclan. Sur les 11 otages, quatre ont accepté de témoigner ce mardi devant la cour d'assises spéciale pour raconter ces quasi trois heures d'horreur qu'ils ont vécues.
David avait 23 ans au moment des attentats. D'origine chilienne, il vivait en banlieue parisienne. D'une voix calme, s'appuyant sur des slides représentant des cartes du Bataclan, il va longuement revenir sur ces longues secondes, qu'il a fini par compter. "J'ai compté 1h45", dit-il à la barre. Au moment de l'attaque, il était aux toilettes, avant de rejoindre ses amis sur le balcon de la salle de spectacle.
"Quand j'entends les coups de feu, je comprends presque instantanément que ce sont des tirs de kalachnikov", évoque le jeune homme, cheveux noirs attachés en queue de cheval.
"Je ne donne pas de coup de pied dans la kalachnikov"
David retourne sur le balcon, ses amis fuient, lui ne bouge pas. Le jeune homme rampe jusqu'à un couloir où une trentaine de personnes se trouvent déjà. Une femme enceinte lui dit "est-ce que je peux sauter par la fenêtre". "Je comprends la détresse de tout le monde", souffle David. Poursuivant son récit, il évoque ce moment où il décide de se hisser sur le toit. Il passe par une fenêtre et s'agrippe à une bouche d'aération, les pieds sur un parapet. Avec humour, il affirme que son poids ne lui permet pas de se soulever. À côté de lui, arrive Sébastien.
David, Sébastien, Caroline, Marie, Arnaud, ce sont les "potages" avec six autres personnes prises en otage par les terroristes. C'est le surnom, contraction de "pote" et "otage", que ces miraculés se sont donnés. Aggrippé à la façade du bâtiment, David se souvient avoir dit à Sébastien qu'après ils iraient boire un verre. A côté d'eux, la femme enceinte est aussi suspendue. Elle appelle à l'aide, supplie. C'est Sébastien qui va re-rentrer à l'intérieur du Bataclan , la hisser et la sauver. La jeune femme s'enfuit, lui retourne aux côtés de David toujours en équilibre, accroché à un balcon de la façade. Sébastien a "sauvé" cette femme, mais David lui a sauvé la vie en lui disant de ne pas bouger.
Car quand Ismaël Omar Mostefaï sort la tête et met en joue les deux hommes, "je ne donne pas de coup de pied dans la kalachnikov, je rentre."
"Je suis otage pour une chose à laquelle je ne comprends rien"
Caroline et Grégory sont restés cachés accroupis derrière leur fauteuil. Derrière eux, ils entendent quelqu'un leur dire "Debout! Debout!" Ismaël Mostefaï leur demande de se lever, Grégory veut prendre ses affaires. "Prends aps tes affaires, c'est pas la peine, tu vas mourir", lui lance le terroriste. Débute alors la prise d'otages. Sur le balcon de la salle de concert, les onze otages sont tous assis l'un à côté de l'autre. Ils voient Foued Mohamed Aggad "s'amuser" à tuer des gens dans la fosse. "C'est là qu'ils ont commencé leur diatribe sur la Syrie, ils parlaient parfaitement français, je ne voyais pas le rapport, se souvient Caroline. Le grand était calme, le petit courait de gauche à droite, comme possédé." Une voix lance à David: "qu'est-ce que tu penses de ton président? Je lui dit que je ne pense rien".
"Je suis chilien, j'ai 23 ans donc la politique me passe au-dessus, je suis otage pour une chose à laquelle je comprends rien", poursuit le jeune homme.
Puis Samy Amimour, le troisième terroriste, est neutralisé par le commissaire de la BAC Nord 75 alors qu'il se trouve sur la scène du Bataclan. "Ils vont se dire 'il s'est bien battu' puis ils nous demandent de nous dépêcher de nous lever", se rappelle Grégory. Lui était venu avec son amie Caroline, aujourd'hui en fauteuil roulant en raison d'une maladie neuromusculaire qui a évolué très rapidement en raison du stress causé par cet événement. Tous les deux vont évoquer les "tâches" confiées par les terroristes aux otages. Sébastien, devenu "le porte-parole des otages" est le premier à avoir parlé avec les terroristes, ses cheveux longs lui ont valu le surnom du "Libyen".
"Chargée de regarder le plafond"
Regroupés dans un couloir, les otages s'assoient d'abord devant la porte qui sépare cet espace du balcon. Puis les terroristes vont les faire se lever pour qu'ils se mettent devant les fenêtres. De sa voix douce, teintée d'une vive émotion, Caroline se souvient d'avoir été "chargée de regarder le plafond, pour éviter... je ne sais pas quoi". Grégory a lui été envoyé par l'un des terroristes récupérer une sacoche pleine de chargeurs oubliée sur un fauteuil du balcon.
"Je me prends la fosse, des corps enchevêtrés partout, il n'y a plus un bruit, ce mélange de sang et de poudre qui vous prend le nez", confie-t-il.
Une fois sa mission achevée, Grégory est chargé de s'asseoir devant la porte et de rapporter les bruits qu'il entend à Foued Mohamed-Aggad, qui a perdu l'usage d'une oreille à force de tirer. Quand il évoque les râles des blessés, le terroriste lui rappelle la situation des femmes et des enfants en Syrie. Le quadragénaire, cheveux gris, raconte également comment il a dû "passer sa soirée à crier 'on a 20 otages, on a des kalachnikov, des ceintures explosives. On va tout faire sauter'."
"Je ne sais plus si je dois dire 'je', 'ils', 'on'."
"Pourquoi ils nous tiraient pas dessus"
Au fil des témoignages, chacun va apporter sa petite anecdote, ce moment hors du temps. Grégory se souvient avoir refusé de donner son téléphone aux terroristes, l'éteignant dans sa poche pour faire croire qu'il n'avait plus de batterie. "J'avais pas envie de donner mes affaires", dit-il. Sébastien se souvient d'avoir sorti des billets de son porte-feuille pour les brûler comme il venait de le faire avec une liasse d'argent à la demande des terroristes.
Tous évoquent surtout cette sensation d'être un miraculé. "Je ne comprends rien à part que je vais mourir", a répété à plusieurs reprises David. Un à un, ils reviennent sur les moments où ils ont cru que les terroristes allaient leur tirer dessus. "On s'est demandé à pas mal de moments-clé pourquoi ils ne nous tiraient pas dessus après ce qu'ils avaient fait", se souvient Sébastien. Grégory revient sur ce moment où un terroriste s'adresse à lui: "je pense qu'il va m'assassiner pour l'exemple". Tous se remémorent la première balle tirée dans la porte par les policiers de la BRI.
"Je vais crier 'non, non, non, faut pas donner l'assaut!'", rapporte Grégory. "L'arrivée de la police n'est pas forcément une bonne nouvelle, j'avais peur de prendre une balle", abonde David.
Les otages s'accordent pour dire qu'Ismaël Omar Mostefaï et Foued Mohamed-Aggad n'avaient pas préparé l'après. Ils ont tenté de joindre, par l'intermédiaire de Sébastien, les médias, la préfecture, en vain. Ils ont réclamé une lettre signée de François Hollande actant le retrait de la France en Syrie et en Irak. Finalement, l'assaut de la BRI, qui les a "surpris" selon les otages, va mettre fin à ces revendications. Successivement, les témoins ont salué l'action des policiers. "La seule raison pour laquelle je suis devant vous aujourd'hui, c'est que ce vendredi 13 la BRI m'a sauvé la vie", conclut Grégory.
Peut-être une réponse à la question que se pose encore David: "Pourquoi ils (les victimes, NDLR) sont morts et pas moi alors que j'ai pas passé deux heures avec les terroristes?"