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L’État nationalise encore des activités stratégiques pour le renseignement militaire

Le ministère de l’Économie rachète ASN, une ancienne filiale d’Alcatel, qui sert d’outil de communication au ministère des Armées. Une nouvelle reprise en main après les systèmes d’écoute d’Atos.

À trois jours des élections législatives, le ministère de l’Économie a annoncé jeudi matin avoir signé un accord pour racheter 80% du capital de la société Alcatel Submarine Networks. ASN pose des câbles sous-marins à travers les mers et les océans du monde entier. Pour les opérateurs télécoms, les Gafam mais aussi pour l’Armée française. Un rôle stratégique, devenu encore plus sensible depuis la guerre en Ukraine.

Le gouvernement a toujours eu un œil sur ASN, notamment depuis sa revente par Alcatel à Nokia en 2015. Mais il a engagé, il y a un an, des discussions avec le groupe finlandais pour lui racheter sa filiale.

"C’est une activité stratégique essentielle pour la France puisqu’elle concerne la connexion par internet avec l’étranger", indique le ministère de l’Economie, qui tient à rester discret sur cette transaction sensible.

À Bercy, on botte en touche sur cette annonce à trois jours du premier tour des élections législatives. Début juin, quelques jours avant la dissolution de l’Assemblée nationale, le PDG de Nokia, Pekka Lundmark, s’était rendu sur le site d’ASN à Calais, une première. Les salariés ne pensaient pas que la vente était imminente. A-t-elle été accélérée depuis deux semaines? "Cela fait un an qu’on discutait", se borne à répondre l’entourage de Bruno Le Maire.

Ces câbles utilisés pour les écoutes de la DGSE

Alcatel Submarine Networks est une activité stratégique car elle transporte les données des services de renseignement. "Dans un câble, il y a 24 fibres dont quelques-unes qui sont toujours réservées pour les militaires", assure un bon connaisseur de l’entreprise. Elle est aussi sensible car les câbles d’ASN sont utilisés par les services secrets pour capter les données.

"La DGSE utilise nos câbles pour écouter les télécommunications", ajoute cette source.

"ASN est un outil que la direction générale de la sécurité extérieure doit utiliser comme les Américains le font", estime pudiquement Olivier Marcé, responsable de la CFE-CGC chez Nokia. Lui ne sait rien sur ces activités sensibles mais le silence autour de l’ancienne filiale d’Alcatel en dit long sur son rôle stratégique pour l’État.

D’autres salariés racontent que des fonctionnaires du ministère des Armées viennent souvent sur les sites de Calais et aux Ulis, qui emploient 1.200 personnes. Parfois des contacts sont entretenus avec ceux du ministère des Affaires étrangères ou de l’Intérieur. "Le choix des clients est regardé de près", assure Olivier Marcé. Mais jamais de visiteurs de Bercy, qui va pourtant débourser un peu moins de 100 millions d’euros, pour cette société qui réalise un milliard d’euros de chiffre d’affaires et seulement 3% de marge.

Orange, Thales et Nexans n'en voulaient pas

ASN est le seul acteur européen qui pose des câbles jusqu’en Afrique et au Moyen-Orient. Chaque grande puissance dispose de son spécialiste: les Américains ont TE Subcom, le Japon a NEC et la Chine s'appuie sur Huawei.

Cette ancienne émanation de la Compagnie générale d’électricité est dans le viseur d’Emmanuel Macron depuis près de dix ans. En 2015, lorsqu’Alcatel se vend à Nokia, le jeune ministre de l’Économie de l’époque exige qu’ASN soit revendu à un industriel français. Orange et Thales sont approchés. L’opérateur télécom dispose aussi d’une activité de câble sous-marin et d’une flotte de navires. De son côté, Thales est le principal équipementier dans les systèmes électronique de l’Armée.

Les deux groupes refusent, malgré la tentative du gouvernement d’envoyer BPIfrance à leurs côtés. L’entreprise de câble Nexans est aussi sollicitée. En difficulté à l’époque, sa direction "a changé de stratégie et s’est concentrée sur les câbles électriques et plus seulement télécom", explique une source proche du dossier.

Avant le Covid, Nokia a ensuite tenté de garder sa pépite qui lui ouvrait les portes des grands clients que sont les Gafam, Google et Facebook en tête, pour qui elle pose des câbles sous-marins. L’éclatement de la guerre en Ukraine, en 2022, a changé la donne et poussé le gouvernement à ouvrir des négociations depuis un an.

Il s’agit de la deuxième opération de nationalisation en quelques jours. Il y a deux semaines, le ministère de l’Économie a annoncé le rachat des activités souveraines d’Atos pour une valeur d’entreprise de 700 millions d’euros. Des supercalculateurs pour l’Armée, des logiciels pour le Rafale et, là encore, des systèmes d’écoute pour les services de renseignement.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business