Le titre de "chef des armées" n'est-il qu'"honorifique" comme le dit Marine Le Pen?
"Honorifique". Voici l'adjectif choisi par Marine Le Pen dans une interview au Télégramme pour qualifier le titre de "chefs des armées" du président de la République. "C'est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse", affirme-t-elle.
Une façon de mettre la pression sur Emmanuel Macron et de chercher à démontrer que l'extrême droite aura les mains libres au sommet du pouvoir si elle venait à imposer une cohabitation au chef de l'État, en cas de victoire aux élections législatives anticipées, prévues les 30 juin et 7 juillet prochains.
"Un pouvoir partagé"
Ces déclarations lui ont valu les foudres de François Bayrou, le patron du MoDem jugeant que la triple candidate à la présidentielle remet "profondément" en cause la Constitution. Même réprobation du côté du ministre de la Défense: le président est le "chef des armées", et "la constitution n'est pas honorifique", a répliqué Sébastien Lecornu sur X.
Le constitutionnaliste Benjamin Morel juge néanmoins que Marine Le Pen a "plutôt raison" de ce point de vue-là. Le statut de chef des armées, présent dans l'article 15 de la Constitution, est surtout "honorifique", estime-t-il. "Le président de la République est le symbole de l'unité nationale, dont l'armée est une représentante. Il en prend la tête, mais il ne la dirige pas."
"Ce qui compte vraiment, ce sont surtout les articles 20 et 21", poursuit le maître de conférence en droit public à l'Université Paris II Panthéon. L'un stipule que "le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation" et "dispose de l'administration et de la force armée". L'autre qu'il est "responsable de la défense nationale".
"Par conséquent, il y a un pouvoir partagé entre le président de la République et le gouvernement qui est responsable de la défense nationale", avance Dominique Rousseau.
Le président "a le pouvoir d'appuyer sur le bouton" de l'arme nucléaire
Le constitutionnaliste juge que le chef des armées a un rôle "réel". "C'est lui qui préside les Conseils de défense nationale et les comités supérieurs de la défense nationale", dit-il. Tout en soulignant, en termes de politique étrangère, que le président "négocie et ratifie les traités", en vertu de l'article 52, ce qui implique là aussi "un nécessaire accord général" avec le gouvernement qui "détermine la politique de la nation". Surtout, "c'est le président qui a le pouvoir d'appuyer sur le bouton de l'arme nucléaire", précise encore Dominique Rousseau.
Lui et Benjamin Morel s'accordent sur le fait que le président du RN, Jordan Bardella, s'il était nommé à Matignon, pourrait s'opposer à l'envoi de troupes en Ukraine, comme l'a indiqué Marine Le Pen. Cela en vertu de l'article 35. Relatif à la déclaration de guerre, il précise que c'est le gouvernement qui informe le Parlement d'une intervention des forces armées.
"Le président peut vous bloquer sur un tas de sujets"
Ces différentes prérogatives questionnent sur l'équilibre que devrait trouver Emmanuel Macron avec l'extrême droite, si le RN remportait les élections législatives. "Le président de la République peut vous bloquer sur un tas de sujets", avance Benjamin Morel, prenant notamment l'exemple de "la signature des ordonnances". "Donc, il faut le soigner, lui donner un peu de pouvoir pour qu'il ne vous embête pas trop".
"Tout dépend de la stratégie que Marine Le Pen et Jordan Bardella décideraient de mener", juge Dominique Rousseau, qui questionne: "Jusqu’à quel point le président de la République accepterait de se soumettre à une politique européenne et étrangère contraire ce qu’il a défendu depuis 2017?"