Législatives 2024: les consignes de vote pour le second tour servent-elles à quelque chose?
Le premier tour des législatives de ce dimanche 30 juin est à peine fini que le second est sur toutes les lèvres. Avec une expression qui monte chez la majorité présidentielle et les partis de gauche, de façon de plus en plus pressante: la consigne de vote face au Rassemblement national. Car le RN et ses alliés pourraient obtenir une majorité absolue à l'Assemblée nationale, avec 255 à 295 sièges, selon notre projection Elabe pour BFMTV, RMC et La Tribune dimanche - le seuil étant fixé à 289 députés.
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Que faire dans ce contexte? "L'extrême droite est aux portes du pouvoir", a alerté le Premier ministre Gabriel Attal, appelant à "empêcher le Rassemblement national d'avoir une majorité absolue". "Face au Rassemblement national, l'heure est à un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour", a affirmé Emmanuel Macron dans une déclaration écrite transmise aux médias dès 20 heures.
Avec ou sans LFI? Selon nos informations, le président de la République a demandé à ses équipes d'étudier chaque circonscription pour trouver des alliances, y compris avec certains candidats insoumis - même si des ténors de son camp semblaient jusqu'ici plutôt pencher pour un "ni RN, ni La France insoumise".
À gauche, l'appel au barrage face au RN fait consensus. "Jamais le Rassemblement national", scande l'union de la gauche baptisée Nouveau Front populaire. Ce dernier équivaut à "l'effondrement de la France", menace l'union des droites du RN, des fidèles de Marion Maréchal et des pro-Éric Ciotti. Du côté des Républicains loyalistes, la clarté n'est pas au rendez-vous: LR a refusé de donner des indications pour le second tour.
Des consignes dépassées?
Ces consignes de vote qui ne sont pas qu'à l'adresse des militants. Quelques jours avant le premier tour, la présidente des écologistes, Marine Tondelier, a écrit aux chefs de partis du camp macroniste (Horizons, Renaissance, Modem, UDI) pour les convaincre d'accepter un "désistement républicain" afin de battre le RN au second tour, en cas de triangulaires.
Souvent le fait des parties politiques, mais aussi de plus en plus celui de personnes influentes issue de la société civile, la consigne de vote est lancée sur les plateaux, martelée sur les réseaux sociaux. Mais à trop indiquer le Nord, cette boussole indique-t-elle encore aujourd'hui la bonne direction pour les électeurs?
Interrogés par BFMTV.com, plusieurs électeurs avouent les entendre, ces consignes de vote, mais ne pas y être sensibles. La période actuelle y est pour beaucoup, laissant peu de place au doute, tant le débat politique est polarisé.
C'est désormais, l'opinion qui domine et "de moins en moins l'attachement à un parti", analyse le politologue Benjamin Morel auprès de RMC.
Vote de conviction
L'affiliation à un mouvement politique, militante ou de cœur, est de moins en moins développée. "Avant, quand vous étiez un électeur communiste, vous suiviez la consigne de parti, et cette consigne était prescriptrice du vote. Aujourd'hui, la filiation et le sentiment d'appartenance à un camp politique ou à un parti est beaucoup plus faible, et les figures sont en grande partie décridibilisées", explique le docteur en sciences politiques à l'université Paris Panthéon Assas.
En trente, quarante ans, les familles politiques ont vu leur nombre d'adhérents baisser. "Les électeurs sont aujourd'hui moins idéologues, moins partisans. Les grands marqueurs droite/gauche s'effaçant de plus en plus, le votant s'en réfaire désormais à lui-même", observe de son côté Bruno Cautrès, analyste des attitudes et des comportements politiques au Cevipof.
"Je vote souvent ce qui est demandé mais pas à cause de la demande du parti politique, c'est juste que nos intérêts et nos valeurs s'alignent", témoigne en ce sens Marie, une jeune libraire, auprès de BFMTV.com avant d'ajouter: "Je vote selon mes convictions qui souvent sont alignées avec celles du parti que j'ai choisi au premier tour".
Valérie, la cinquantaine et sans emploi, se moque bien de qui dit quoi et refuse de faire des calculs: "Je choisis un candidat, pas un parti. Et je choisis toujours le candidat qui a les mêmes convictions que moi, le reste ne m'intéresse pas", revendique-t-elle. Pareil pour sa fille, Dina, enseignante au collège: "Je me fie uniquement à mes convictions", affirme-t-elle.
"Le barrage républicain": un tournant après 2022
Pour remporter l’élection présidentielle en 2017 et en 2022, le candidat Emmanuel Macron a pu compter sur un front républicain fort et l'engagement des électeurs de gauche face à la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen. Mais celui-ci tend à s'affaisser, malgré les demandes de ce dimanche du camp présidentielle post-second tour des législatives.
"Votre vote m'oblige", avait déclaré le président le soir de sa réélection en 2022. "Sauf qu'après la réforme des retraites, la loi immigration et la réforme de l'assurance-chômage... Allez demander à un électeur de gauche de continuer à faire barrage au RN en choisissant un candidat macroniste aux législatives qui a défendu ces lois... Ça va être compliqué!", s'exclame Bruno Cautrès.
Celui qui est également chercheur au CNRS constate que depuis les dernières législatives, l'électeur de gauche va avoir tendance à s'abstenir ou à voter blanc plutôt que s'en référer aux consignes d'un parti macroniste ou de centre-droit qu'il a souvent aidé et qui l'a souvent déçu.
Le dernier sondage Elabe pour BFMTV La Tribune Dimanche publié la veille de la période de réserve, vendredi 28 juin confirme qu'une majorité d'électeurs refuse désormais de faire "barrage": seuls 25% d'électeurs macronistes appellent à un désistement de leur candidat, s'il arrive en troisième position, pour faire battre un adversaire de gauche, 31% pour un adversaire lepéniste. Quant à ceux du RN, ils ne sont que 18% à appeler au désistement pour bloquer un candidat NFP.
Déjà en 2022, le barrage républicain avait bien moins fonctionné qu'en 2017. Contrairement au second tour de 2002 où les électeurs de gauche se sont massivement unis aux centristes de l'UDF et à la droite gaulliste du RPR pour faire rélire Jacques Chirac face à Jean-Marie Le Pen.
Les résultats du Rassemblement national aux dernières législatives et aux européennes de juin en ont fait un système stable. Devenu structurant du système politique et dédiabolisée par le travail de Le Pen fille, "la consigne d'un barrage à l'extrême droit chez les centristes et la droite traditionnelle n'est plus aussi percutante", observe l'enseignant à Sciences Po et analyste du Cevipof, Bruno Cautrès.
Aujourd'hui, seuls les électeurs de gauche sont encore nombreux (40%) à appeler au "barrage" dès lors qu'il s'agit de faire battre le Rassemblement national, selon l'enquête d'opinion Elabe du 28 juin.
En fonction des candidats et des partis, l'adhésion diffère
Comme il s'agit là d'un scrutin local, en fonction des candidats toutefois la consigne peut faire mouche. "Si l'électeur a dans sa circonscription un centriste qui avait manifesté de l'indépendance vis-à-vis de la majorité pendant ces deux dernières années, alors oui pourquoi pas, ça peut marcher", nuance le politologue du Cevipof.
Les couleurs politiques jouent également: si dans une circonscription, la coalition présidentielle a investi un ancien maire local, un ancien socialiste par exemple, "ce sera plus facile pour les électeurs de gauche d'adhérer à la consigne d'Ensemble plutôt que s'il s'agit d'un pur macroniste", continue Bruno Cautrès.
Plusieurs facteurs expliquent cette diminution de l'impact de la consigne de vote émanant des partis politiques. Auparavant blocs d'influence de masse autant pour les électeurs que pour les militants - "avant on pouvait faire toute sa carrière dans un parti", rappelle Bruno Cautrès - les familles politiques patissent aujourd'hui de leurs frontières de plus en plus floues qui réduisent leur influence.
"Qu'un LR passe chez Macron ou un PS chez Macron, ça brouille les pistes. Et quand les pistes sont très brouillées et le dilemne moral trop grand, l'électeur s'abstient ou vote blanc", ajoute le chercheur.
Certains partis comme le RN, à la ligne politique encore très identifiée, arrivent toujours à créer l'adhésion des voix de leurs électeurs. "Si on vous dit que vous êtes pro-RN, vous allez voter pour le candidat RN sans vous posez mille questions", constate Bruno Cautrès.
La consigne, désormais sur les réseaux sociaux?
Loin des plateaux télévisés et des sphères des partis, le bruit et l'impact de la consigne de vote montent en revanche sur les réseaux sociaux. Selon l'analyste du Cevipof, c'est davantage sur son téléphone, en regardant les vidéos de leurs influenceurs préférés ou en lisant les posts de tels ou tels activistes que les électeurs s'informent de plus en plus.
Aux vidéos et aux images des réseaux sociaux, s'ajoute pour les électeurs, la multiplication des canaux d'informations. "Chaque électeur peut désormais jouer au petit fact-checkeur dans son coin, affaiblissant considérablement le poids de la parole politique qui ne devient qu'une source parmi d'autres de messages", reconnaît Bruno Cautrès.
Avant de conclure: "Aujourd'hui ce sont les influenceurs et les éditorialistes qui créent le débat politique et l'indignation". Plus les partis et leurs consignes de vote.