"Même si j'ai 0, j'ai une mention": avec la réforme du bac, l'épreuve de philosophie est-elle encore utile?
Le bonheur est-il affaire de raison? Et vouloir la paix, est-ce vouloir la justice? Plus de 535.000 élèves de terminale ont planché ce mercredi matin sur l'épreuve de philosophie du baccalauréat, dans l'espoir d'obtenir le précieux sésame.
Avant la réforme initiée par l'ancien ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, entrée en vigueur en 2021, cette épreuve tant redoutée par les élèves donnait le coup d'envoi de l'examen final des lycéens.
Elle est depuis placée en fin de parcours, juste avant le grand oral, et loin derrière les épreuves de spécialités qui se déroulent en mars et dont les résultats sont déjà tombés, mais aussi plusieurs semaines après les premières phases d'admissions dans des formations d'enseignement supérieur via Parcoursup. Il faut aussi ajouter à cela que le contrôle continu compte pour 40% de la note finale.
"Même si j'ai 0, j'ai 13,6 de moyenne au bac"
De quoi reléguer à la marge l'intérêt de l'épreuve de philosophie pour de nombreux élèves, épreuve qui hérite en plus d'un faible coefficient.
"Etant donné qu'il y a les voeux Parcoursup qui sont déjà arrivés, moi je suis serein", commentait la semaine dernière un lycéen de l'établissement Buffon dans le 15e arrrondissement de Paris, à l'approche de l'épreuve.
Même discours du côté de ceux qui ont usé des simulateurs pour connaître leurs chances de réussite au bac.
"J'ai entré les notes que j'ai déjà eues et même si j'ai 0 au grand oral et en philosophie, je garde 13,6 de moyenne au bac, avec mention assez bien", se réjouissait ainsi un autre élève.
Certains expliquaient même n'avoir "plus envie de travailler" en juin, car l'année leur semble finie.
Les professeurs constatent une "démobilisation générale" des élèves
Marie Perret, professeure de philosophie et présidente de l'association des professeurs de philosophie de l'enseignement public (Appep), parle plus gobalement d'une "démobilisation générale" des élèves après les épreuves de mars desquelles ils sont ressortis "très fatigués".
"Je ne parlerai pas de désintérêt mais d'une démobilisation générale. Ils continuaient à venir en classe mais ce qui a changé c'est que l'épreuve de philosophie n'était plus un enjeu. Ils venaient les mains dans les poches, prenaient peu de notes, demandaient à faire des débats", explique-t-elle à BFMTV.com avant d'ajouter: "Le troisième trimestre de terminale est devenu le premier trimestre des grandes vacances".
Mais cela n'enlève rien à l'intérêt de cette épreuve du baccalauréat pour celle qui enseigne au lycée Richelieu à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).
"Elle contribue à garder la pensée critique dans l'espace public. (...) Elle a du sens, surtout à une époque où l'on voit un retour de l'obscurantisme, c'est important que les élèves aient l'occasion de réfléchir aux notions enseignées", estime Marie Perret.
Déplacer les épreuves de spécialité en juin?
Et puis cette épreuve de philosophie est le seul "vestige" de l'ancien bac. Plutôt que de la supprimer car elle n'est plus déterminante pour les élèves, Marie Perret plaide plutôt pour que les épreuves de spécialités, organisées en mars, soient déplacées en juin, après l'épreuve de philosophie.
Mais le calendrier actuel a justement été fait pour que ces épreuves soient prises en compte dans Parcoursup et ainsi "redonner du sens au bac", explique au Figaro Pierre Mathiot, directeur de l'Institut d'études politiques de Lille, qui a coécrit le rapport qui a préfiguré à la réforme en 2018.
"Notre objectif était justement de lui redonner de la valeur, pas comme un diplôme couperet qu'il n'est plus, mais comme une balise de passage dans un cursus de formation. Pas comme une rivière qu'il faut sauter au risque de se noyer, mais plutôt comme un pont" justifie-t-il.
Il reconnait par ailleurs que ce "n'est pas satisfaisant de se dire qu'on a perdu une partie des élèves avant juin." Pour y remédier il propose par exemple de "garder les notes secrètes jusqu'au mois de juin".
"Faire un jogging après un marathon"
Une proposition "intéressante" pour Marie Perret, mais pas suffisante. La professeure de philosophie s'étonne d'ailleurs qu'on puisse "être bachelier avant d'avoir passé toutes les épreuves", faisant référence à ceux qui utilisent les simulateurs et qui concluent que "le bac est dans la poche".
Finalement, le calendrier des examens tel qu'il est appliqué est "très destructurant pour les élèves". Pour l'illustrer, Marie Perret se souvient d'un élève lui ayant dit qu'après les épreuves de spécialité de mars, "c'est comme si on leur demandait de faire un jogging après un marathon".