Famille

Mort d’Émile: un an après, la disparition du petit garçon toujours gravée dans les esprits des habitants et des gendarmes

Le 8 juillet 2023, la disparition d’un enfant de deux ans et demi est signalée à la gendarmerie des Alpes-de-Haute-Provence. Un an plus tard, on ne sait toujours pas ce qui est arrivé au petit garçon retrouvé mort le 30 mars, à deux kilomètres du lieu où il a été vu pour la dernière fois.

Le

"C’est une journée difficile dans une carrière, ça marque. Surtout que je suis père de famille alors j’ai décidé de mettre tous les moyens possibles et inimaginables pour tenter de secourir ce gosse". Un an après, Luc* n’a rien oublié. Le samedi 8 juillet 2023, vers 18 heures, il est le premier officier gendarme des Alpes-de-Haute-Provence à lancer les opérations de recherches sur la commune du Vernet.

Quelques minutes auparavant, les grands-parents d’Émile avaient téléphoné au centre d'opérations et de renseignement de la gendarmerie (CORG) à Digne-les-Bains pour déclarer la disparition du petit garçon dans un hameau, le Haut-Vernet. 

"Pendant 48 heures, c’était le nez dans le guidon. Il n’y avait qu’Émile qui comptait", se souvient Luc. "J’ai pris la gravité en compte immédiatement. On signalait un enfant de 2 ans et demi disparu et il faisait très chaud. Il ne fallait pas qu’on traîne. On s’est renforcé tout de suite sur le site. Deux puis six, huit, dix gendarmes avant d’être renforcés encore. Nous étions dans l’urgence", retrace le militaire.

Ce dernier n'imaginait alors pas, qu'un an plus tard, les circonstances de cet évènement resteraient toujours aussi floues. Si des ossements de l'enfant ont été retrouvés en mars dernier, les causes exactes de la mort du petit garçon ne sont pas connues.

"Je pensais que dans la semaine de l’évènement, nous aurions une piste. Un accident, un crime ou la famille. Il ne pouvait pas s’être envolé comme ça. Aujourd’hui, on a des ossements mais toujours pas de piste. Comment avec tous les moyens, les êtres humains, les chiens, les battues, nous n’avons pas pu tomber dessus? Pourquoi sommes-nous passés à côté ? C’est ma grande tristesse ça"…, souffle Luc qui n’exerce plus dans les Alpes-de-Haute-Provence à présent.

"Une affaire très rare"

Daniel, lui, est encore là. Gradé aussi, il a été l’un des premiers gendarmes de la compagnie de Barcelonnette à se rendre au Haut-Vernet pour participer aux recherches. "Toutes les pistes sont encore valables, c’est hallucinant. Je n’ai aucune idée et je ne pense pas que ça a avancé d’un pouce. À moins que la science nous prouve quelque chose", espère le militaire.

À titre personnel, c’est sans conteste la plus grosse affaire de sa carrière, pourtant longue de 37 années. "C’est une affaire exceptionnelle, très rare dans une carrière. Cela équivaut à l’affaire du petit Grégory, toutes proportions gardées. Et Grégory, on sait qu’il a été assassiné. Émile, on ne sait toujours pas...", souligne-t-il.

Sur la compagnie de Barcelonnette, l’impact de l’affaire Émile est aussi prégnant. "Cette enquête a été privilégiée par rapport aux autres missions traditionnelles comme les contrôles routiers. La communauté de brigade de Seyne et le PSIG de Jausiers ont géré les urgences mais il n’y avait plus de prise d’initiatives. Il y avait par exemple moins de contrôle de flux", décrypte un gendarme bas-alpin, en première ligne depuis un an dans l’affaire Émile.

Opérations de recherche du petit Emile au Vernet, le 10 juillet 2023 dans les Alpes-de-Haute-Provence - NICOLAS TUCAT © 2019 AFP

Son intime conviction? "Aucune. C’est trop complexe avec tellement de paramètres et de choses étranges comme la personnalité des parents, des grands-parents, de la randonneuse qui retrouve le crâne. C’est une histoire de fou et il n’y a rien de rationnel". Dans le cas où Émile se serait perdu seul et qu'il n'avait pas été retrouvé lors des battues, le gendarme confie qu'il s'agirait alors d'un "regret" pour lui.

Des enquêteurs marqués

Depuis un an, les enquêteurs sont profondément marqués par la disparition puis la mort d’Émile. "C’est une affaire qui pèse sur les esprits des gendarmes. Les recherches opérationnelles denses, ça marque, ça reste à vie. Et puis, il y a ceux qui sont dans la cellule d’enquête et qui travaillent sans relâche depuis un an pour tenter de résoudre une énigme", contextualise le colonel Pierre-Yves Bardy, commandant du groupement de gendarmerie des Alpes-de-Haute-Provence.

Comme chaque groupement, celui de Digne-les-Bains dispose d’un système d’accompagnement pour gérer d’éventuels traumatismes psychologiques. Une cellule régulièrement activée lorsque des dossiers complexes concernent des enfants. Pour l’affaire Emile, aucun gendarme n’a fait une demande d’accompagnement.

"Les plus à plaindre ne sont pas les gendarmes mais bien la famille", insiste le colonel Pierre-Yves Bardy.  
Des gendarmes participent aux recherches d'Emile, deux ans et demi, le 10 juillet 2023 au Vernet, dans les Alpes-de-Haute-Provence - NICOLAS TUCAT © 2019 AFP

Le silence de la famille

La famille, justement, ne sera pas présente au Vernet, ni à la Bouilladisse ce lundi 8 juillet 2024. Un an après la disparition d’Émile, ses proches ont décidé de participer à une retraite religieuse pour s’éloigner physiquement et mentalement de l’endroit où tout a commencé.

"Ils en ont marre d’attendre les résultats des expertises. C’est un silence radio depuis la découverte du crâne et des ossements", glisse une proche des grands-parents. Selon nos informations, la grand-mère d’Émile échange parfois quelques textos avec le directeur d’enquête. Mais rien ne filtre.

C’est presque par voie de presse que les grands-parents ont appris qu’un laboratoire privé de Bordeaux avait récemment été saisi par les juges d’instruction d’Aix-en-Provence pour mener de nouvelles expertises.

"Petit à petit on en parlera plus et ça tombera dans l’oubli. Le grand-père se referme pendant que la grand-mère découvre avec effarement les théories et insanités qui circulent sur les réseaux sociaux pour expliquer la mort d’Émile", indique-t-on dans l’entourage familial.

Une habitante des Bouches-du-Rhône, soupçonnée de diffamation envers le grand-père d’Émile, devra d’ailleurs répondre de ses actes devant le tribunal de Marseille ce jeudi 11 juillet.

La pression retombe au Vernet

François Balique, le maire du Vernet, aussi a été traîné dans la boue sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il préfère penser aux proches d’Émile. "J’ai une forte pensée pour les parents qui ont perdu un enfant de deux ans et demi. Et on ne connaît toujours pas les circonstances. C’est une question qui se pose à mes administrés, à moi. Comment se fait-il qu’il soit décédé?", se demande l'élu sans avancer de théorie. 

S’il devait choisir un mot pour qualifier l’année écoulée, l'élu n’hésite pas un instant: "c’est un drame". Et de poursuivre, la voix teintée d’émotion. "Un drame pour la famille. Un drame pour le village. Un drame pour les Français. On est attaché à la famille, aux enfants et voir un enfant disparaître sans motif, si gai, si beau. On ne devrait pas avoir le droit de quitter la vie à deux ans et demi dans un village paisible".

Un véhicule de gendarmerie au Vernet, le 2 avril 2024 - CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

Dans le village, justement, la pression médiatique semble être désormais retombée. "Il y a encore des gens qui en parlent mais ça s’est bien calmé", admet Yannick, une figure locale. Il y a un an, il vivait au Haut-Vernet et le sexagénaire n’a rien oublié de ce samedi-là. "Le soir, je me souviens de l’hélicoptère. Et le lendemain, le monde. J’ai toujours pensé qu’il ne s’était pas perdu tout seul. En tout cas, je ne pensais pas qu’un jour je serai perquisitionné chez moi", avoue l’habitant.

Aujourd’hui, il n’espère qu’une chose: avoir des réponses, ne serait-ce que pour la quiétude des lieux. "J’espère que ça ne va pas se finir en eau de boudin car l’ambiance au Haut-Vernet sera intenable, entre le jeune agriculteur, les grands-parents, les habitants".

Étienne pense la même chose. Cet habitant du Vernet ne veut absolument pas revivre les évènements de l’été dernier qui ont suivi la disparition du petit garçon. "En 2023, des enfants ne sont pas venus durant toute la saison par crainte des parents. J’espère vraiment que les gens vont revenir cet été. Depuis qu’on a retrouvé Émile, on en parle beaucoup moins. La vie reprend son cours", assure le retraité, assis sur un banc à l’ombre d’un gros figuier.

"Je suis d’ailleurs soulagé pour la maman car elle sait que son petit n’est plus là. C’est très dur mais au moins, elle peut se reconstruire. Mais maintenant, on veut juste savoir s’il est parti seul, s’il a eu un accident ou si un psychopathe vit chez nous", questionne Étienne.

Des questions et de l'agacement

Près de lui, José en veut un peu aux enquêteurs qui n’ont rien dit depuis la découverte des ossements il y a plus de trois mois. "Malgré le bordel dans le village toute l’année, on a toujours aucune réponse. Je pensais que la police scientifique était plus performante que ça", s’agace le Vernetois.

Ce dernier est aussi énervé par le tourisme dans le village depuis que l’affaire a commencé. "Maintenant, le Vernet est fréquenté par le passage de gens curieux. Des gens avec des voitures qui ne sont pas du village et qui montent au Haut Vernet, regardent partout puis redescendent", fustige-t-il.

Des tensions sont aussi apparues entre villageois depuis le début de l'affaire mais la situation semble désormais se clamer. "C’est clair qu’il y a eu quelques animosités mais c’est en train de s’apaiser. Nous restons néanmoins sur le qui-vive car si la gendarmerie découvre quelque chose, elle peut arriver un jour avec une paire de menottes pour venir chercher quelqu’un", se projette José.

"Une affaire énigmatique"

Récemment, cet habitant a revu un oncle d’Émile. "Mais pas le grand-père qui a du mal à revenir", déclare José, un brin songeur. "On a encore plus de questions depuis qu’on sait qu’il est mort ce petit. On ne comprend pas pourquoi il aurait pu aller là-bas seul. Et la famille pense la même chose", croit savoir le villageois.

"Ce sont des gens qui prient, qui se réfugient dans la spiritualité", poursuit Marc, résident secondaire et ami des grands-parents d’Émile. "Surtout d’Anne que j’espère revoir à la piscine en juillet", nuance le vieil homme.

"Je compatis avec toute la famille d’Émile. C’est une affaire énigmatique et malheureuse, tout simplement", termine le villageois avant de reprendre son chemin.

Sylvie, elle, vient de poser ses valises au Vernet après plusieurs mois à l’étranger. "Je retrouve mes proches et ma maison familiale et j’espère avoir vraiment des vacances cette année", déclare cette professeure de français. Il y a un an tout juste, c’est elle qui décrochait au téléphone lorsque les bénévoles souhaitaient venir participer aux battues pour retrouver Émile.

"Pendant deux mois, on était tous préoccupés par ça. On voulait le retrouver et savoir. Un an après, on sait qu’il est mort mais nous n’avons toujours pas le fin mot de l’histoire", se navre Sylvie. Et de prévenir: si ça recommence, je partirai en vacances ailleurs. J’espère qu’on n’aura pas une colonie de gens, de voyants, qui viendront faire un pèlerinage, car ça serait une vraie catastrophe".

*Le prénom a été modifié.

Les dates clés de l'affaire Émile

8 juillet 2023, disparition de l’enfant en fin d’après-midi.

14 juillet, les opérations de ratissage prennent fin au Vernet. 97 hectares ont été inspectés par des enquêteurs et des centaines de bénévoles.

18 juillet, une information judiciaire est ouverte et élargie quelques jours plus tard à des faits "d'enlèvement, arrestation, détention et séquestration arbitraires sur mineur de quinze ans.

25 juillet, un drone et des chiens spécialisés en recherche de restes humains sont déployés au Vernet.

29 août, Colomban et Marie, les parents d’Émile, s’expriment pour la première fois dans le magazine Famille Chrétienne

12 septembre, une dalle en béton construite au moment de la disparition est détruite par les enquêteurs dans une maison à proximité de celle des grands-parents.

19 septembre, le plan d’eau du Vernet est inspecté par des plongeurs.

17 et 18 octobre, le domicile d’un jeune agriculteur est perquisitionné par les enquêteurs non loin du Haut-Vernet.

7 novembre, 36 habitations sont perquisitionnées au Vernet et dans cinq autres départements en France.

28 mars 2024, une remise en situation se déroule toute la journée au hameau du Haut-Vernet en présence des témoins clés dans ce dossier.

30 mars, le crâne d’Émile est retrouvé par une randonneuse sur un chemin situé à 2 kilomètres du Haut-Vernet.

2 avril, le procureur d’Aix-en-Provence donne une conférence de presse et annonce que des vêtements d’Émile ont été retrouvés à proximité de son crâne.

10 avril, les opérations de recherches approfondies entreprises sur 45,3 hectares sont terminées. "Elles ont permis la découverte de plusieurs éléments corporels et effets appartenant à Emile", confirme le procureur d’Aix-en-Provence.

28 juin, l'acte de décès d’Émile est officiellement signé par le maire, François Balique. De nouvelles expertises sont encore en cours sur demande des juges.

Valentin Doyen