"On préférait Jean-Paul II": pourquoi le pape François irrite la droite et l'extrême droite
Une visite au goût historique qui suscite aussi des critiques. Des élus Reconquête, Rassemblement national et Les Républicains s'irritent de la venue du pape François dans la cité phocéenne ce week-end. Dans leur viseur: l'implication du dignitaire religieux sur le sort des migrants lors de son discours lors d'une messe géante au Vélodrome.
"Je suis en désaccord avec le pape François. Je trouve qu'il n'a pas à faire de la politique et qu'il en fait trop", a tancé Marion Maréchal, tête de liste aux européennes sur BFMTV la semaine dernière.
"Nous, on pense d'abord aux nôtres"
L'ex-députée du Rassemblement national est loin d'être seule à être agacée par cette première visite officielle du souverain pontife en France depuis son élection en 2013.
"Il s'engage trop. C'est bien de défendre certains sujets et ceux qui souffrent, mais nous, on pense d'abord aux nôtres. En France, on parle aux Français", nous explique le député RN José Gonzales.
Les propos du dignitaire religieux qui a qualifié la Méditerranée de "cimetière à ciel ouvert" ne passent pas, pas plus que ses mots sur les 2000 personnes qui ont traversé le basssin méditerranéen depuis le mois de janvier et qui ont trouvé la mort- une plaie ouverte dans notre humanité" pour François.
Très loin donc d'Éric Zemmour qui appelait pendant la campagne présidentielle à construire "un mur" aux frontières de l'Union européenne.
Le pape à Lampedusa n'a "rien résolu"
En dépit du contexte politique de ses déplacements, le pape hésite rarement à sortir du bois. En avril dernier, en voyage en Hongrie, dirigée par le très conservateur Viktor Orban, il avait ainsi lancé un appel à "être des portes toujours plus ouvertes" "à ceux qui sont étrangers, différents, migrants, pauvres".
Le soutien du souverain pontif aux personnes migrantes n'a cependant rien d'une surprise. En 2013, pour sa toute première visite en dehors de Rome, le religieux se rendait sur l'île italienne de Lampedusa. Cette terre à seulement 150 kilomètres de la Tunisie est confrontée ces derniers jours à un afflux sans précédent de migrants.
"Il est venu porté un message d'amour à Lampedusa mais avec le recul, ça n'a rien résolu. Je pense même que ça a pu encourager certains à venir", regrette un député de droite qui dit cependant "aimer le pape, peu importe ce qu'il dit".
Il reste manifestement compliqué pour des élus de droite qui affichent régulièrement leur foi de critiquer le Saint-Siège. Le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau a ainsi évoqué mardi sur France inter un "pape dans son rôle" "avec un idéal de vie à donner" tout comme le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan qui s'est "dit fier qu'il vienne en France" sur BFMTV.
"Pas le même enthousiasme que pour Jean-Paul II"
Même son de cloche pour la sénatrice LR Valérie Boyer qui juge "normal que le pape prie pour ceux qui souffrent", avant de nuancer ses propos.
"Je suis émue d'assister à sa visite en tant que catholique fervente mais je pense que beaucoup, dont moi, préféraient Jean-Paul II. Ce n'était pas le même élan, le même enthousiasme à ses côtés", juge ainsi cette ex-proche de François Fillon.
Pour expliquer cette prise de distance, les observateurs du Vatican avancent plusieurs explications, à commencer par le profil de François qui vient d'Argentine.
"C'est un pape qui se concentre sur le sud, où sont aujourd'hui les catholiques. Les inquiétudes des Européens l'intéressent peu. C'est dur à entendre pour ceux qui disent vouloir les défendre", résume Bernard Lecomte, auteur de Les secrets du Vatican.
"Son rôle c'est l'humanitaire, pas autre chose"
L'octogénaire a d'ailleurs privilégié tout au long de son exercice les tournées en Afrique et en Asie plutôt que de labourer les terres occidentales. Devant le Parlement européen, il avait d'ailleurs évoqué en 2014 un continent européen qui ressemblait à "un grand-mère fatiguée" et "stérile".
Autre fait d'armes qui bloque dans les rangs de la droite: l'ambition écologique de François. Deux ans après son arrivée au Vatican, il fait publier l’encyclique Laudato si’ entièrement consacrée à l'écologie et qui prône la décroissance au service de l'urgence climatique.
"C'est vrai que quand il parle de la météo... Son rôle, c'est l'humanitaire, pas autre chose", attaque le député RN José Gonzales.
"Le clivage de la laïcité" réactivée par François
Si l'agacement dans les rangs de l'extrême droite dépasse de loin les frontières françaises -de Matteo Salvini, le patron de la Ligue du nord italienne, qui a accusé François de vouloir "le chaos migratoire" à André Ventura, l'une des figures de l'extrême droite portugaise qui a jugé qu'il "détruisait les fondements de l'église-, la France dispose d'un contexte bien particulier avec la laïcité.
En 1980, Jean-Paul II avait estimé que La France était la "fille aînée de l’Église", lors de son premier voyage dans l'Hexagone. De quoi agacer les socialistes qui avaient alors organisé plusieurs manifestations, rappelant la loi de 1905 qui sépare les églises de l'État.
"On est dans un pays où les textes encadrent clairement les cultes mais le sujet revient à chaque visite. On retrouve toujours ce clivage, tantôt à gauche, tantôt à droite", résume ainsi Samuel Lievin, direction de la rédaction de Pélerin magazine.
"Un mélange explosif" entre liturgie et politique
Dernière explication pour comprendre ce rejet de François par une partie de la droite et de l'extrême droite: celle de grilles de lecture qui se mélangent entre Bible et politique.
"On a d'un côté des prises de paroles liturgiques toujours fondées sur les Évangiles et de l'autre des prises de paroles politiques d'élus", observe Samuel Pruvot, rédacteur en chef de Famille chrétienne.
"Vous remarquerez que le pape ne donne jamais de mode d'emploi là où des dirigeants cherchent des solutions. Forcément, ça fait un mélange explosif, on ne parle pas des mêmes choses", avance encore ce spécialiste de la papauté.