Plus de 33.000 défaillances d'entreprises au premier semestre 2024 ont été comptabilisées en France par la société Altares (dont 16.400 au deuxième trimestre). Une augmentation de 18% sur un an et un nombre 20% supérieur à la moyenne constatée en 2018 et 2019. En 2024, la barre des 60.000 défaillances devrait certainement être franchie et ce pour la première fois depuis 2015.
Dans un contexte de multiplication des faillites dans le commerce de l'habillement et avec des entreprises très symboliques comme Caddie ou Duralex qui luttent pour leur survie, on serait tenté d'en tirer la conclusion que le pays traverse une nouvelle crise.
Une conclusion cependant bien trop hâtive. La vie d'une entreprise s'inscrit sur le temps long et, pour avoir une vision juste de la santé du tissu entrepreneurial, il convient de regarder des périodes temporelles un peu plus étendues.
Si l'on compile les données de la société Altares sur le nombre de défaillances entre d'une part 2016 et 2019 (période particulièrement faste) et d'autre part 2020 et 2023, c'est une tout autre perspective que l'on observe.
Ainsi sur les quatre années qui précèdent le Covid, ce sont exactement 219.648 entreprises qui ont été placées soit en redressement soit en liquidation judiciaire. Si on compile les mêmes chiffres pour les quatre années suivantes (2020-2023) on obtient le nombre de 160.784 soit 58.900 défaillances de moins que sur la période précédente.
Les entreprises zombies ont-elles déjà disparu?
Si on y ajoute l'année en cours et en partant de l'hypothèse assez pessimiste qu'il y pourrait y avoir 64.000 défaillances en 2024, on arrive à 225.000 disparitions d'entreprises sur cinq années complètes, soit à peu près autant que sur les quatre années qui précèdent le Covid.
"On n'est pas dans une situation alarmiste, reconnaît Thierry Million, le directeur des études d'Altares. Bien sûr qu'une faillite est un drame social, mais si on compare les chiffres par rapport à la période précédente, on aurait dû avoir au moins 70.000 ou 75.000 faillites par an. Ce qui n'a pas été le cas."
Les années Covid, on le sait, ont été hors-norme avec des niveaux de sinistralité anormalement bas dans le pays: 32.000 en 2020, 28.400 en 2021 et encore 42.500 en 2022. Durant cette période, l'État a pris en charge les salaires avec le chômage partiel, les entreprises ont bénéficié du fonds de solidarité, de prêts garantis par l'État et ont profité de reports de charges ainsi que d'étalement de leur dette sociale auprès des Urssaf.
On a alors parlé d'entreprises zombies maintenues artificiellement en vie alors que sans la crise sanitaire elles auraient dû disparaitre naturellement. Dans les trois années avant-Covid ce sont 162.000 entreprises qui ont disparu. Dans les trois années du Covid, leur nombre s'est élevé seulement 100.000. On peut donc estimer à 60.000 ce nombre d'entreprises fragiles maintenues en vie par ces aides d'Etat.
Le sursaut de sinistralité depuis deux ans est très loin d'atteindre ce nombre de 60.000. D'autant plus étonnant que ces années post-Covid n'ont pas été de tout repos pour les entreprises avec la guerre en Ukraine et la hausse des coûts, notamment de l'énergie, qui en a découlé.
"Il y a eu la fin des moratoires avec l'Urssaf sur les dettes sociales, la hausse des coûts d'exploitation avec l'énergie, la hausse des crédits avec les taux, résume Thierry Millon. Les marges d'exploitation se sont dégradées, les revenus n'étaient pas toujours au rendez-vous mais les entreprises ont malgré tout résisté."
La construction reste en souffrance
Des entreprises plus solides avec davantage de liquidité, une consommation des ménages qui a mieux résisté que lors des crises précédentes, un environnement fiscal et réglementaire plus stable peuvent être avancés pour expliquer cette relative résistance.
Chaque période de crise récente a eu son lot des victimes. La crise financière de 2008 (60.000 défaillances en moyenne par an entre 2009 et 2011) a principalement concerné les PME et les ETI dans les secteurs de la construction et de l'automobile par manque d'activité.
La période de crise des dettes souveraines qui a suivi et qui s'est traduite, particulièrement en France, par une croissance anémique a été encore plus destructice pour le tissu entrepreneurial. On dénombrait alors plus de 62.000 défaillances par an en moyenne et ce durant quatre années. Ce sont principalement les très petites entreprises qui ont été touchées durant cette période marquée par le manque de financement et la hausse de la fiscalité.
Depuis deux ans, selon Altares, c'est un mix des deux que l'on constate avec quelques grands noms dans le secteur de l'habillement notamment et surtout de nombreuses petites structures dans la construction, le bâtiment et les services aux entreprises.
La hausse des taux d'intérêt et l'attentisme sur le marché de l'immobilier ont ainsi plombé un secteur de la construction qui représente en temps normal environ un quart des faillites.
Pour autant, le plus dur est peut-être passé. Si au premier trimestre 2024, tous les secteurs d'activité étaient dans le rouge au niveau de la sinistralité, le deuxième a montré des signes de reprise.
"Le BtoC est repassé dans le vert, assure Thierry Millon. On le voit dans le commerce, les restaurants, les coiffeurs ou les instituts de beauté. Il y a eu moins de faillites. Dans l'industrie on constate aussi une bonne résistance dans la production manufacturière qui n'est pas à destination du textile ou de la construction."
La poursuite de la désinflation et la baisse des taux d'intérêt pourraient relancer le secteur du bâtiment et permettre de redescendre aux 50.000 défaillances par an. Sauf si le contexte politique actuel dégénère en une crise économique franco-française.