Pourquoi le lancement d'Ariane 6 est crucial pour l'Europe spatiale
H-6 avant le décollage de la toute première fusée Ariane 6 à Kourou. Rendez-vous ce mardi 9 juillet à 20h (heure de Paris). Une "répétition humide" fin juin, opération au cours de laquelle toutes les procédures jusqu'au moment d'allumer les moteurs de la fusée sur son pas de tir, a permis de lever les dernières inconnues.
"Ça s'est très bien passé (...) comme une horloge suisse", confie Toni Tolker-Nielsen, directeur du transport spatial à l'ESA, "il n'y a pas de point critique qui mette en question la date de lancement".
La fusée emportera 18 "passagers", des microsatellites d'universités et des expériences scientifiques.
"Ce premier vol, c'est un moment important pour nous tous, ce n'est pas simplement l'aboutissement des efforts de développement, mais aussi le début de la phase d'exploitation", pointe Franck Huiban, directeur des programmes civils d'Arianegroup, le maître d'œuvre industriel.
Envisager une remontada face à l'américain Space X
En attendant la pression est particulièrement forte car avec ce lancement, l'Europe spatiale pourrait faire coup double: mettre en service une toute nouvelle fusée et récupérer en même temps un accès souverain à l'espace.
Il faut dire que depuis un peu plus d'un an, l'Europe spatiale est dans une situation qui pour certains relève de la science-fiction: nous n'avons plus la capacité d'envoyer nos satellites dans l'espace. Ariane 5 est à la retraite, la Russie a récupéré ses fusées Soyouz qui décollaient depuis Kourou, et le lanceur léger Vega est en panne.
"Tout ce qui pouvait mal tourner a mal tourné", se désole à l'AFP le patron de l'ESA, Joseph Aschbacher. C'est pourquoi "Ariane 6 est cruciale pour l'Europe, qui doit absolument disposer d'un accès indépendant à l'espace", selon lui.
Autant dire que ce vol de qualification d'Ariane 6 est déterminant. Un succès permettrait à l'Europe de remettre un pied dans l'espace et d'envisager une remontada face à l'américain Space X qui prévoit 144 lancements de Falcon 9 cette année.
Face au géant américain, l'enjeu pour Ariane 6 est d'exister dans "un marché qui a besoin de lanceurs" selon le patron d'Arianegroup Martin Sion, et parce que c'est "le lanceur de souveraineté de l'Europe".
A l'inverse, un échec serait catastrophique: déjà en terme d'image et ensuite pour le business. Car le carnet de commande d'Ariane 6 est bien rempli avec une trentaine de lancements à effectuer: satellites militaires, d'observation...
Un carnet de commandes déjà bien rempli
"C'est absolument sans précédent pour un lanceur qui n'a pas volé", se félicitait fin juin Stéphane Israël, patron d'Arianespace, chargée de commercialiser et d'exploiter la fusée.
Avec des clients impatients comme par exemple Amazon; l'américain a commandé 18 lancements pour déployer sa constellation Kuiper, soit un investissement estimé par certains à 10 milliards de dollars.
Le premier vol commercial doit avoir lieu à la fin de l'année et 14 autres les deux années suivantes.
Il s'agit donc de créer un climat de confiance autour d'Ariane 6. Pour rassurer, ensuite pour attirer de futurs clients mais aussi rentabiliser ce programme spatial européen qui se chiffre à plus de 4 milliards d'euros.
Pour autant, quelques jours avant le lancement, l'opérateur des satellites météo européens, Eumetsat, a annulé un lancement prévu sur Ariane 6 au profit de SpaceX, citant sans les préciser des "circonstances exceptionnelles", faisant fi du principe de préférence européenne.
Réagissant sur Linkedin, le PDG du Cnes, l'agence spatiale française Philippe Baptiste a déploré "un changement brutal, car le vol devait avoir lieu très prochainement" et "une journée très décevante pour l'Europe spatiale".
Rappelons que l'économie spatiale est florissante, elle doit représenter 822 milliards de dollars dans 10 ans, près de deux tiers de plus qu'aujourd'hui selon le cabinet Novaspace.