Pourquoi le prix de l’essence a davantage augmenté en France qu’ailleurs en Europe
Les chiffres sont sans appel. Le baril de pétrole a peu ou prou retrouvé le cours qu’il affichait il y a un an et la valeur actuelle de l’euro en dollar n’en est plus très loin. Ainsi, converti en euros, le baril de Brent s’échange, ces derniers jours, entre 2 et 3% plus cher qu’à la fin janvier 2022. Pourtant les automobilistes français continuent à payer leur carburant nettement plus cher qu’il y a un an.
Qu’un plein de gazole reste plus onéreux qu’avant la guerre en Ukraine, cela peut s’expliquer facilement. Comme nombre de ses voisins, ces dernières années, la France a préféré s’appuyer en grande partie sur la Russie pour satisfaire aux besoins de son immense parc de véhicules diesel.
Selon le comité professionnel du pétrole, en 2021, 30% du gazole vendu dans les stations-services françaises était "made in Russia". Et donc, bien obligée de trouver de nouveaux fournisseurs avant l’entrée définitive en vigueur de l’embargo, la filière a été contrainte de payer ses approvisionnements à un prix supérieur.
Hors taxe, le litre de SP95 est passé en un an de 0,67 € à 0,86 €
Mais pour le super SP95-E10, largement produit dans les raffineries françaises, la justification "Poutine" ne tient plus vraiment. Il y a bien l’envolée des coûts de l’énergie (gaz et électricité) qui renchérit le raffinage de tous les carburants, mais en la matière, la France est logée plus ou moins à la même enseigne que ses voisins. Et c’est d'ailleurs là que le bât blesse.
Quand on compare les prix hors taxes à la pompe au sein de la zone euro, la France apparaît dans le haut du tableau. Selon les données compilées par la Commission européenne, mi-janvier, le litre de SP-95 E10 coûtait dans 85,6 centimes, soit 7,5% de plus que la moyenne de la zone euro (79,6 centimes). Un différentiel très inhabituel.
Il y a un an, ce même litre hors taxe (mais marges comprises) était facturé aux automobilistes français 66,6 centimes soit 10% de moins que les 74,2 centimes observés dans la zone euro. La France était encore alors l’un des pays où, ponctions fiscales mises à part, l’automobiliste était le mieux loti. Ce qui avait la règle ces dernières années, du fait du poids majeur la grande distribution dans la vente de carburants.
Une concurrence qui ne tire plus les prix vers le bas
En un an, la donne a donc changé radicalement. Le président de l’Ufip énergies et mobilités (le syndicat professionnel de l’industrie pétrolière) n’en disconvient pas: "la France n’est plus championne de la distribution de carburant, mais c’est provisoire". Pour Olivier Gantois, c’est "la désorganisation de la chaîne logistique" qui explique la situation actuelle.
Une désorganisation aux causes multiples: le choix de TotalEnergies d’offrir des ristournes complémentaires à celles de l’Etat, les grèves de l’automne dans les raffineries et, désormais, la mobilisation syndicale contre la réforme des retraites. D'un côté, on a des automobilistes qui ont perdu leurs repères habituels, certains d’entre eux cherchant à parer les risques de pénurie qu’ils ont fini par alimenter eux-mêmes. Et de l’autre, des distributeurs dont, explique le président de l’Ufip, "la première préoccupation a été d’assurer l’approvisionnement des stations-service puis, après les grèves de l’automne, de reconstituer leurs stocks."
"Les efforts mis dans la concurrence acharnée à laquelle ils avaient l’habitude de se livrer se sont relâchés" constate-t-il.
Un constat que partage Dominique Schelcher, le président de Système U, allié aux centres Leclerc pour ses approvisionnements en carburant. "Depuis les grèves de l’automne, tout n’a pas été remis en ordre. Notre priorité reste d’avoir assez de carburant à vendre. Il y a donc eu fort logiquement moins d’opérations à prix coûtant."
"Reconstitution des marges"
Moins d’efforts sur les prix et donc des marges plus conséquentes? "Il y a eu à la fois des surcoûts de distribution et une reconstitution des marges" admet Olivier Gantois. Le PDG de Système U se montre plus cash:
Le mot d’ordre n’a pas, non plus, été de se gaver. Et je ne pense pas que ce soit nous qui nous sommes le plus gavés" insiste-t-il.
Et demain? Quand la tempête sociale se sera apaisée, la grande distribution continuera-t-elle à tirer les prix du carburant vers le bas pour inciter les automobilistes dans ses magasins? Olivier Gantois en est persuadé: "Cela fait 60 ans que ça fonctionne ainsi. Je ne pense pas prendre un grand risque en affirmant que cette compétition va continuer."
"Les opérations prix coûtants vont revenir"
Un avis, là encore, partagé par Dominique Schelcher: "Fondamentalement, explique-t-il, le carburant est et restera un produit d’appel. Notamment pour nous, puisque 50% des magasins U sont implantés à la campagne. Les opérations prix coûtants vont revenir, notamment juste avant les vacances, dès que nous aurons retrouvé une certaine sérénité dans nos approvisionnements".
Les acteurs de la grande distribution continuent donc à mettre la pression sur le gouvernement pour que la publication du décret encadrant l’interdiction de la publicité sur les produits pétroliers soit repoussée au plus tard possible. Une demande à laquelle Bercy n’est pas insensible. Du moins tant que l’inflation reste la première préoccupation des Français.
Mais du côté de ceux qui, au gouvernement, défendent la sortie des énergies fossiles, on préférerait que la grande distribution concentre ses efforts sur le prix des produits alimentaires et non sur ceux du carburant. Le sort de ce décret n’est donc pas encore tranché. Et le retour éventuel en France, ces prix (hors taxes) les plus bas d’Europe dépend en grande partie de sa non-parution.