Procès du 13-Novembre: intervenu au Bataclan, un médecin du RAID raconte "l'urgence de sortir de cet enfer"
"C’est une nuit qui me marquera à vie." Par sa complexité, son intensité physique et psychologique, mais aussi par son "horreur", l’intervention au Bataclan, le 13 novembre 2015, restera à jamais gravée dans la mémoire du docteur Matthieu Langlois, médecin du RAID, l’unité d’élite de la police nationale.
Il est 21h50 quand son biper sonne l’alerte, raconte-t-il ce jeudi devant la cour d’assises spécialement composée. À ce moment précis, il sait qu’il va intervenir sur le lieu d’une attaque terroriste, mais il n’en connaît pas encore l’ampleur. Depuis son entrée au RAID en 2008, le Dr Langlois est préparé à agir sur des tueries de masse, il a notamment fait partie de l’équipe dépêchée après l’attaque menée par Mohamed Merah à Toulouse en 2012.
Chaos
Deux binômes de médecins du RAID sont constitués: l’un est envoyé au Bataclan, l’autre sur les terrasses parisiennes, deux des lieux frappés par les terroristes ce soir-là. Matthieu Langlois arrive vers 23h00 sur sa zone d’intervention, l’assaut dans la salle de concert n’a pas encore été lancé.
"Je me rends compte que la réalité va être beaucoup plus dure que d’habitude. On voit des corps sur le trottoir. Un policier nous dit: 'Planquez-vous, ça tire'. Plus on avance vers l’entrée, plus la situation de chaos est évidente", rapporte-t-il en ce 35è jour d’audience.
Matthieu Langlois et son coéquipier pénètrent difficilement dans le Bataclan, l’objectif est de rejoindre la fosse, au rez-de-chaussée, tout en sachant que deux terroristes sont à l'étage, qu'un troisième est peut-être caché et qu'il y a potentiellement un colis piégé dans la salle.
"Notre rôle est de sauver sous la menace. Extraire rapidement les blessés, en priorisant selon la gravité des lésions, pour qu’ils soient le plus rapidement possible conduits à l’hôpital. Le risque pour nos vies est réel mais il faut maîtriser la sidération pour agir", explique-t-il.
Stress et sidération
Entraîné à garder la tête froide, le binôme évalue la situation: "Il y a environ 200 personnes, des morts et des blessés, dans cette zone. Je n’avais jamais fait, jamais vu ça". Ceux qui étaient en capacité de sortir de la salle de concert ont été extraits par l’équipe de la BAC, primo-intervenante. "Comme toutes les personnes qui pouvaient bouger sont parties, je savais qu’il fallait aller chercher les autres pour les mettre en sécurité sinon, avec leur type de blessures, ce serait trop tard. On ne pouvait pas attendre."
Le médecin voit des pieds, des bras arrachés… "Les projectiles ont fait plusieurs lésions dramatiques sur les personnes", dit-il sans vouloir s’étendre davantage sur ces détails douloureux.
Pendant environ 40 minutes, les deux binômes du RAID s’échinent à faire sortir les blessés de la fosse. "Puis, on apprend que plus de 80 personnes sont encore cachées dans les étages. Il faut réfléchir à la manière de les évacuer, en sachant qu’il est hors de question de les refaire passer par l’intérieur du Bataclan". Le Dr Langlois fait alors venir quatre échelles.
"Heureusement, il y avait plutôt des blessés légers. Donc on a fait des files de victimes en faisant descendre les plus touchés en premier. Il y avait urgence à sortir de cet enfer. Mais les victimes étaient dans un tel état de stress et de sidération, qu’elles ne voulaient pas descendre. Il a fallu trouver les bons mots pour les rassurer, parfois avec un peu d’humour pour leur donner le courage d’enjamber le balcon. Il fallait que ça aille vite, avec toute la bienveillance indispensable", expose le médecin de l’unité spéciale.
Sauvetage "absolument unique"
Vers minuit, l’assaut est donné par les policiers du RAID et de la BRI. Une fois l’opération terminée, "on a pu faire entrer les services de secours car on estimait que la zone était un peu plus sécurisée qu’auparavant", raconte à son tour le docteur Denis Safran, médecin de la BRI. Comme son confrère Matthieu Langlois, il a participé à l’évacuation rapide des blessés avant l’assaut.
"Après cela, je suis allé dans les étages, d’abord auprès de la BRI pour voir si des agents avaient été blessés pendant l’assaut. Par chance, un seul homme avait été touché à la main mais il avait déjà été évacué donc je n’ai pas eu à m’occuper de lui. J’ai passé le reste de la soirée à explorer le Bataclan - qui est un bâtiment complexe avec de nombreux recoins - et je suis parti à la recherche d’autres blessés. Je les ai regardés, examinés, et j’ai organisé leur sortie", déclare-t-il à la barre.
Ce n’est que vers 02h00 du matin que ce sauvetage "absolument unique" en son genre prend fin, tandis que dans les hôpitaux de la région parisienne, les personnels soignants sont encore à pied d'oeuvre pour secourir les personnes qui ont été extraites des différents lieux d'attaque. Dès 22h30, le directeur de l'Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP) a déclenché le "Plan blanc".
"C'était la première fois qu’il était mis en place sur l’ensemble de l’assistance publique", souligne à la barre, Martin Hirsch, directeur de l'AP-HP.
Ce soir-là, "l’ensemble des hôpitaux ont pu être mobilisés. 17 structures ont reçu 364 blessés, dont une centaine en urgence absolue. Nous avons compté 4 décès et 188 opérations chirurgicales. Les blessés s’apparentaient à des blessés de guerre, touchés par des armes de guerre, mais la chirurgie et la médecine ont été pratiquées avec la même qualité et la même exigence que dans des circonstances habituelles", a-t-il précisé au sujet de cette nuit qui le "marquera à vie".