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Retraites: le retour à la table des négociations est-il en train de fissurer l'intersyndicale?

Alors que Matignon s'apprête à leur lancer une invitation dans les prochains jours, les syndicats ne semblent pas adopter la même posture face à une reprise des discussions avec l'exécutif. Certains y sont opposés tant que la réforme des retraites n'est pas retirée tandis que d'autres ne veulent pas manquer l'occasion d'avancer sur d'autres sujets de préoccupation des salariés.

Après trois mois d'unité sans précédent, est-ce le début de la fin pour l'intersyndicale? Les leaders syndicaux clament le contraire mais des points de divergence émergent dans leurs discours respectifs depuis ce week-end et se font encore plus clairs en ce 1er-Mai, nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. En cause, l'annonce faite vendredi par Matignon au sujet d'une invitation envoyée prochainement par Elisabeth Borne à l'attention des syndicats pour tenter de renouer le dialogue.

Invité du jury de LCI-RTL-Le Figaro dimanche midi, Laurent Berger a exposé clairement la position de la CFDT: "Si on a une invitation, on ira discuter", et ce "dans le format qu'elle décidera" mais avec des préalables "en termes de méthode et de sujets de fond." La potentielle future numéro 1 de la CFDT Marylise Léon, qui doit succéder à Laurent Berger à la fin du mois de juin, a adopté une posture similaire le lendemain matin au micro de France Inter: "On est dans une nouvelle période avec le gouvernement qui nous dit: « on veut renouer le dialogue, parler de nouveaux sujets ». Pour la CFDT, c’est clair, on ne fera pas la politique de la chaise vide".

Une décision en intersyndicale

Dans les heures qui ont précédé le départ du cortège parisien, les différents leaders syndicaux ont semblé s'accorder sur l'importance de la prochaine réunion de l'intersyndicale qui aura lieu mardi à 8h30 et au cours de laquelle seront décidées "les suites à donner à cette invitation d'Elisabeth Borne et les suites de la mobilisation" selon les mots de Sophie Binet. Si elle insiste sur le caractère unitaire de la mobilisation et une prise de décision qui se veut collective, la secrétaire générale de la CGT a rappelé sa ferme opposition à la réforme des retraites à laquelle se mêle la volonté de "mettre à l’agenda les vrais sujets de préoccupations des Français comme l’augmentation des salaires."

Secrétaire général de Force ouvrière, Frédéric Souillot a confirmé au micro de BFMTV que de nouvelles journées de mobilisation seraient décidées demain "pour tirer" jusqu'au début du mois de juin. Il a également insisté sur l'unité de l'intersyndicale: "Depuis le 19 janvier, nous assumons toutes nos différences [...] Je n’ai pas entendu mes homologues dire qu’ils étaient pour ce projet de réforme des retraites." Un peu plus tôt dans la matinée, la secrétaire confédérale du syndicat Hélène Fauvel avait indiqué clairement la position de FO concernant l'invitation à Matignon: "En règle générale, Force Ouvrière ne pratique pas la politique de la chaise vide [...] "Nous irons discuter," mais s'il n'y a pas de changement de méthode, "ça ne durera pas longtemps."

Fin des mobilisations régulières?

Comme la CGT, Force ouvrière fait partie des syndicats qui entend continuer de mettre la pression sur l'exécutif pour obtenir le retrait de la réforme des retraites. "Cette loi est promulguée mais n’est pas encore appliquée, a ainsi rappelé Frédéric Souillot. Le CPE, c’était pareil: il était promulgué mais n’a pas été appliqué et la loi sur le régime unique aussi [...] Il y a le 3 mai et le 8 juin et il y aura encore des mobilisations."

Il s'agit des deux dates, aux allures d'ultimes espoirs, que les syndicats mettent en avant depuis la promulgation du texte par Emmanuel Macron dans la nuit du 14 au 15 avril. Mercredi, le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur un nouveau référendum d'initiative partagée tandis qu'une proposition de loi du groupe parlementaire LIOT pour repasser l'âge légal du départ à la retraite de 64 à 62 ans figure à l'ordre du jour du 8 juin prochain. "Jusqu’au 8 juin au moins, il faut continuer les actions en intersyndicale qui restera soudée", estime Cyril Chabanier, président de la CFTC.

"Nous souhaitons qu’il y ait une mobilisation le jour même du 8 juin voire quelques jours pour faire pression sur le Parlement pour que cette proposition de loi soit adoptée."

Sur le sujet des mobilisations, Laurent Berger donne l'impression d'être davantage résigné. "On va continuer d’agir par tous les leviers qu’on a contre les 64 ans, a-t-il souligné ce matin sur Franceinfo [...] On ne peut pas mentir aux salariés à partir du moment où cette loi est promulguée. Faire croire qu’une manifestation toutes les semaines leur permettrait de faire reculer le gouvernement, ça serait leur mentir."

Porter d'autres revendications

Si le leader de la CFDT se montre aussi sceptique vis-à-vis de la poursuite de mobilisation régulières, c'est car il ne souhaite pas manquer l'opportunité d'aborder dans les plus brefs délais d'autres préoccupations des travailleurs. "Il faut continuer de porter haut les revendications du monde du travail en termes de salaires, d’organisation du travail, de conditions de travail, de répartition de la valeur créée dans l’entreprise et de répartition de la richesse dans le pays à travers la fiscalité, a-t-il expliqué au micro de BFMTV. La CFDT fera son boulot de syndicaliste et c’est d’aller parler avec les interlocuteurs qui sont les nôtres aujourd’hui."

"Si vous voulez qu’on discute, il va falloir que vous soyez à la hauteur sur la méthode et que vous mettiez sur la table plusieurs points sur l’organisation du travail."

Plus que des vœux, Laurent Berger pose clairement des conditions pour que le dialogue avec l'exécutif reprenne. "On va en discuter en intersyndicale mais la CFDT ira dire deux choses au gouvernement dans quelques semaines: il ne pourra plus faire de la concertation comme il le faisait auparavant et est-ce que vous êtes prêts à revenir sur les ordonnances de travail, à remettre sur la table la question des salaires et des conditions de travail?", a-t-il prévenu sur Franceinfo.

"Pour donner espoir au monde du travail, il faut que l'intersyndicale porte des revendications communes, et je pense qu'elle est capable de le faire."

Une intersyndicale désormais en position de force?

Mais le leader syndical ne veut pas pour autant faire cavalier seul et appelle à porter ces revendications aux côtés des autres organisations: "Il faut qu’on se dise ce sur quoi on est d’accord, ce sur quoi on ne l’est pas et qu’on assume nos divergences comme on l’a fait depuis quelques mois et surtout qu’on porte des propositions communes."

S'il conserve l'espoir que la réforme des retraites ne soit pas appliquée, Cyril Chabanier entend également répondre favorablement à l'invitation imminente de Matignon mais également sous certaines conditions: "Je vous confirme que nous irons à la table des négociations mais pas à n’importe quel prix. Évidemment, ce sera pour discuter pouvoir d’achat, salaires puisque ce sont les sujets de préoccupation numéro 1 pour les Français avec l’inflation aujourd’hui." Le président de la CFTC compte aussi revenir sur certaines mesures du projet initial de réforme des retraites. "Ce sera aussi pour parler de sujets que le Conseil constitutionnel a retirés de la loi, ajoute-t-il. Aujourd’hui, dans la loi, il n’y a plus un seul mot sur la pénibilité, les reconversions et l’emploi des seniors alors que ce sont des sujets cruciaux."

"Grâce à la mobilisation des salariés et de l’ensemble de la population depuis trois mois, nous pourrons obtenir beaucoup plus de choses qu’il y a trois mois."
Timothée Talbi