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Sous-marins néerlandais: un scénario "australien" peut-il se reproduire pour Naval Group?

L'offre de sous-marins conventionnels de Naval Group a été retenue par le gouvernement et doit être votée ce lundi par le parlement néerlandais. Mais deux menaces guettent l'industriel français: une plainte du concurrent allemand écarté et les exigences du fournisseur américain de missiles.

Le jour fatidique est arrivé, ou presque. Ce lundi 3 juin, le parlement néerlandais doit valider le contrat de sous-marins dans lequel Naval Group est arrivé en tête dans l'appel d'offres qui le mettait en concurrence avec l'allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) et le néerlandais Damen associé au Suédois Saab. La France aurait fourni l'offre la plus compétitive.

Ce contrat, d'un montant d'au moins 2,5 milliards d'euros - entre 4 et 6 milliards, selon le quotidien De Telegraaf - porte sur quatre Black Sword Barracuda. Il s'agit de la version hybride (diesel-électrique) du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Barracuda français. Les deux premiers doivent être livrés dans les dix ans suivant la signature du contrat, soit a priori 2035.

Les étoiles semblent alignées pour le constructeur français, mais la crainte d'un scénario à l'Australienne est bien présente. En septembre 2021, Canberra avait dénoncé un contrat de 55 milliards d'euros pour l'achat de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle. Les Australiens ont finalement opté pour des sous-marins nucléaires dans le cadre de l'alliance Aukus avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. La France avait alors qualifié cette décision de coup de poignard.

Pour le contrat néerlandais, trois dangers guettent Naval Group: le lobby des industriels néerlandais et suédois auprès des élus, une action en justice de l'allemand TKMS et, selon la presse néerlandaise, les missiliers américains retenus pour armer les Black Sword Barracuda qui ne voudraient pas que leurs missiles soient installés sur des bâtiments français.

Le lobby néerlandais en action

Pour le contrat néerlandais, la prudence règne chez Naval Group. Le groupe français fait face à l'offensive de Saab et Damen qui font pression sur le Parlement. La France a le soutien du secrétaire d'État à la Défense, Christophe van der Maat, pour qui l'industriel de Cherbourg a proposé "une offre équilibrée, polyvalente et réaliste", mais ce sera aux élus néerlandais de trancher.

"Si le contrat n'est pas validé, il faudra lancer un nouvel appel d'offres, mais ce type de revirement risque de refroidir les candidats", explique à BFM Business une source proche de ce dossier.

Cet expert soulève aussi le risque d'un retard de livraison qui pèsera sur la flotte déjà vieillissante. Relancer un appel d'offres repoussera la livraison de plusieurs années et rien n'assure que les sous-marins "Walrus" de la marine néerlandaise. En service depuis plus de 30 ans, ils sont dans un état d'usure déjà avancé. Pour les maintenir, la Koninklijke Marine (Marine royale des Pays-Bas) a dû en sacrifier un pour récupérer des éléments pour maintenir les trois autres en condition opérationnelle.

Les Australiens sont bien placés pour connaître les conséquences d'une annulation de contrat de sous-marins. Canberra est loin d'avoir les bâtiments promis à l'époque par les États-Unis et le Royaume-Uni.

L'action en justice de l'allemand TKMS

Seconde embûche, encore plus incertaine, l'action en justice lancée par TKMS pour tenter de casser le contrat avec la France. Dans un courrier adressé au gouvernement néerlandais, l'allemand fait figure de mauvais perdant. Il conteste l'attribution du contrat à la France en affirmant que le secrétaire d’État Christophe van der Maat n'aurait pas respecté les règles de procédure qu’il a fixées.

TKMS avance entre autres que le gouvernement réclamait un modèle standard et assure que les Black Sword ont été créés spécialement pour les Pays-Bas. En effet, ce sera les premiers Barracuda à propulsion conventionnelle à être produit, mais ce modèle a été auparavant conçu pour les Australiens. Ce sera à la justice de répondre. Même si le contrat est validé ce lundi 3 juin par les parlementaires, la justice pourrait le casser par la suite.

Ce serait bien sûr une mauvaise nouvelle pour Naval Group, une fois encore pour la Koninklijke Marine, mais aussi pour le groupe néerlandais Royal IHC qui doit fournir les systèmes de propulsion.

Le missilier américain en embuscade

Si Naval Group a été retenu par le gouvernement néerlandais, le système d'armement ne sera pas français, mais américain. Il s'agit des missiles de croisière Tomahawk d'une portée de 1600 kilomètres produits par Raytheon. Mais, selon un article publié encore une fois par De Telegraaf, "les Américains ne veulent pas de leurs missiles sur des navires français".

"Si cette position américaine se vérifie, ce serait une première. Les Néerlandais ont eux-mêmes sélectionné leur armement. Ce n'est pas aux fournisseurs de missiles de choisir les sous-marins", s'étonne un expert.

En effet, l'installation de système d'armes étranger sur des bâtiments français destinés à des pays tiers est un classique. Les Black Sword embarqueront une trentaine d'armes (contre 24 pour les Barracuda français). On doit trouvera un arsenal composé des missiles antinavires et de croisière et six tubes de lancement de torpilles (quatre sur les bâtiments français). Le gouvernement néerlandais a opté pour des missiles Tomahawk qui équipent la plupart des navires de l'Otan.

La validation du contrat par le Parlement n'est donc qu'une première étape. Deux obstacles, l'un Allemand, l'autre Américain, restent donc encore à passer pour finaliser ce contrat à près de 5 milliards d'euros. Dans les deux cas, ce sera aux Pays-Bas de défendre leur choix et leur souveraineté en matière de défense.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco