TGV: pourquoi la SNCF part à la conquête de l'Italie?
La SNCF n'a jamais caché ses ambitions pour l'Italie, elles se concrétisent aujourd'hui. La compagnie ferroviaire a annoncé ce mercredi son intention d'attaquer ce marché en 2026 avec à terme 13 allers-retours sur deux lignes: Turin-Milan-Rome-Naples et Turin-Venise.
Le mouvement est logique compte tenu du profil attractif du marché italien du rail.
"C'est un marché très intéressant avec une infrastructure récente, 56 millions de passagers par an sur la grande vitesse", explique à BFM Business, Alain Krakovitch, directeur de TGV et Intercités à la SNCF.
Le marché et les deux liaisons que souhaite exploiter la SNCF, sont néanmoins déjà occupées par Trenitalia, l'opérateur national qui aspire les deux tiers des clients (et qui concurrence la SNCF en France) et Italo (ex-NTV) qui s'arroge le reste.
"Il y a un important potentiel de progression On vise notamment l'induction, c'est-à-dire attirer des gens qui ne prennent pas le train pour se déplacer. Selon nos études, 80% d'entre eux sont appétents au train", poursuit-il.
Un constat confirmé par Julien Joly, expert transports pour le cabinet Wavestone: "c'est un marché dynamique, accessible et avec du potentiel à aller chercher".
Des péages 30 à 40% moins chers qu'en France
Surtout, le marché italien du rail est très accessible, avec des péages "30 parfois 40% moins chers qu'en France", précise Alain Krakovitch. De quoi contenir les pertes (incontournables) et atteindre la rentabilité plus rapidement même si cela prendra évidemment des années mais aussi proposer des prix plus bas?
Low cost ou premium, la SNCF ne souhaite pas encore dévoiler son modèle économique pour le pays. Néanmoins, il opérera 15 de ses nouveaux TGV M conçus spécialement pour le réseau italien, des trains qui sont très capacitaires.
Si les règles du jeu permettent à l'opérateur français de mieux maîtriser ses coûts, l'utilisation de ces TGV neufs à 40 millions d'euros l'unité pourrait laisser croire la SNCF ne jouera pas la carte du low cost comme en Espagne avec Ouigo où elle fait circuler des TGV recyclés, ce qui permet de réduire ses coûts.
Du low cost avec des TGV M?
"La SNCF peut faire comme en Espagne, un marché assez similaire à l'Italie, même avec des TGV M", estime Julien Joly.
"Ouigo est clairement le bras armé de la SNCF pour attaquer un marché, les petits prix permettent d'aller chercher rapidement de nouveaux clients. Elle pourra toujours financer le déficit probable avec les bénéfices faits en France et bientôt en Espagne, c'est la péréquation".
"Enfin, exploiter des TGV M, c'est moins de défaillances, moins de consommation et plus de flexibilité pour s'adapter à la demande. Ca serait donc malin de faire du low cost avec du matériel neuf. Mais elle peut aussi s'aligner sur ce que propose Trenitalia qui offre un bon rapport qualité-prix", analyse l'expert.
Reste que ces trains n'arriveront pas d'un coup. "Le déploiement de ces trains sera progressif et on montera en charge petit à petit", précise Alain Krakovitch.
Renforcer l'offre là où la SNCF est présente en Europe
Il faudra également trouver des conducteurs, une denrée qui devient rare, mais la SNCF pourra s'appuyer sur sa filiale italienne SVI (SNCF Voyageurs Italie) qui opère déjà la ligne transfrontalière Paris-Lyon-Turin-Milan, ligne actuellement coupée à cause de l'éboulement dans la vallée de la Maurienne. Reste que les objectifs sont élevés.
"L’ambition est d’atteindre, en 10 ans, une part de marché de 15%", indique Alain Krakovitch, en faisant notamment grossir le gâteau du rail dans le pays. Rappelons qu'en quelques années, la SNCF s'est octroyée 20% du marché espagnol avec Ouigo.
Et ce lancement s'inscrit dans la stratégie européenne de la SNCF qui entend en moins de 10 ans doubler le nombre de ses passagers sur le Vieux continent. L'opérateur mise donc sur l'Espagne, l'Italie et l'Europe du nord avec Eurostar qui concentre la plus grosse partie de sa clientèle européenne.
Faut-il s'attendre à d'autres lancements sur le Vieux continent? "Nous sommes capables d'atteindre ces objectifs de trafic en Europe en développant notre offre dans les pays où nous sommes déjà présents. Pour Eurostar par exemple, il y a encore beaucoup de voyageurs à aller chercher. En Italie, SNCF Voyageurs reste ouverte à la possibilité de desservir d’autres destinations, dont le sud, dès que les infrastructures le permettront", explique le dirigeant.
"La SNCF a 122 millions de clients en France et 30 millions en Europe et elle est désormais positionnée sur les bons marchés. Et les marges de croissance sont importantes: passer de 18 à 30 millions de clients en 2030 avec Eurostar et aller encore plus loin en Espagne", explique Julien Joly.