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"Un verrou a sauté": l'alerte des syndicats face à la recrudescence des propos racistes en entreprise

Depuis les élections européennes, les syndicats relèvent une recrudescence des propos racistes ou discriminatoires sur le lieu de travail. Destinataires des alertes, ils se retrouvent en première ligne.

"Non qu’est-ce que vous faites là, vous n’avez pas à me servir, retournez dans votre pays", "toi tu es étranger ou étranger un peu régularisé ?", "ça devient urgent de renvoyer les profiteurs d'aide sociale et les OQTF"… Tels sont les propos entendus ces dernières semaines dans certaines entreprises et confiés à BFM Business par les syndicats Solidaires et CFDT.

Si les insultes à caractère raciste ou discriminatoire (envers les minorités, les personnes en situation de handicap, les LGBT...) ont toujours existé, les responsables syndicaux interrogés sont unanimes: ces propos connaissent une envolée dernièrement.

"On a observé une recrudescence de propos racistes, peu de temps après les élections européennes, après l'arrivée en tête du Rassemblement national", assure Julie Ferrua, co-déléguée générale de l'Union syndicale Solidaires. "Au début, c'était plutôt dans la rue. Désormais on a des retours terrain concernant des établissements accueillant du public, par exemple aux guichets", poursuit la syndicaliste.

Le syndicat, représenté notamment dans le secteur des finances publiques, du rail et de la santé, fait état de propos qui se propagent à tous les niveaux: "On entend des propos racistes, entre des usagers et des contrôleurs du rail par exemple, mais aussi entre collègues".

"Il y a une libération totale de la parole raciste comme si ce n’était pas un délit. Il y a clairement un verrou qui a sauté", constate Julie Ferrua.
Ils racontent la libération de la parole raciste
Ils racontent la libération de la parole raciste
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Une vingtaine de signalements en quelques jours

Pour Véronique Revillod, secrétaire générale de la fédération des Services à la CFDT, l'aggravation des propos racistes est avérée, et quantifiable. "À la CFDT Services, on a un dispositif ouvert aux adhérents, une sorte de permanence qui permet de poser des questions. Le champ des possibles est large, ce qui permet d'avoir une évaluation fine des tendances", explique-t-elle.

"En quelques semaines, on m’a remonté une vingtaine de signalements, alors qu’avant c’était un ou deux cas par an. Et encore, ne me sont remontés que les verbatims explicites."

Car ce que dénoncent aussi les responsables, c’est un climat oppressant, une discrimination d’ambiance. "Quand des propos racistes ou insultants sont tenus, cela affecte la personne visée, les conditions de travail, mais ça a aussi une incidence collégiale, car ça touche ceux qui les entendent, même si ils n’étaient pas destinataires", complète Véronique Revillod.

Ces alertes sur le lieu de travail vont de pair avec le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), publié le 27 juin dernier. Ce document a mis en évidence un recul de la tolérance et une très forte augmentation des actes racistes.

Pour l'instant, les syndicats font état de violences verbales, qui tombent sous le coup de la loi. "En premier lieu on fait des rappels à la loi en avertissant l'employeur. Certains auteurs n'ont même pas conscience de la portée des propos qu'ils ont tenus", soulève Véronique Revillod.

Dépôt de plainte, droit d'alerte et sensibilisation

De quels autres leviers disposent les syndicats qui se retrouvent en première ligne? Les victimes sont d'abord accompagnées individuellement pour porter plainte. "Aux camarades choqués, nous rappelons qu'on est là pour les soutenir, et on les accompagne pour porter plainte", relate Julie Ferrua. Dans certains cas est fait usage du droit d'alerte, qui permet d'interpeller l'employeur sur la situation, à l'intiative du salarié ou du CSE.

Mais pour les syndicats interrogés, il s'agit surtout de sensibiliser et de former leurs adhérents, les collaborateurs et l’employeur. Surtout que les syndicats ne sont pas épargnés, des propos à caractère xénophobe se retrouvant parfois dans la base militante. "C'est une difficulté à laquelle on peut se heurter, désormais il y a des propos qui contestent la légitimité de certains collègues au sein même de l'organisation. Le syndicat doit rester un rampart", concède Julie Ferrua.

"On n'est pas épargnés dans nos rangs non plus", abonde Véronique Revillod. "Les personnes tenant ce type de propos sont systématiquement écartées. On crée aussi des outils de prévention pour nos délégués syndicaux."

La CFDT prend le sujet très à cœur et rappelle que la lutte contre les discriminations, notamment vis-à-vis des femmes, fait partie des combats historiques des organisations syndicales.

Multiplication de réunions spéciales, comités extraordinaires, bureaux nationaux, les syndicats sont en effervescence. Avec la montée du Rassemblement national lors de cette séquence électorale, ils réinvestissent le champ politico-sociétal. Dans une déclaration commune, en date du 1er juillet, la CGT, la CFDT, l'Unsa, FSU et Solidaires dénonçaient ainsi le projet du RN et notamment "les politiques publiques discriminantes qui distinguent les Françaises et les Français et les divisent selon leurs origines, leur religion ou leurs orientations sexuelles".

Marine Landau