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"Une discipline de fer": qui est Rachel Reeves, nouvelle ministre des Finances britannique?

Ex-économiste de la Banque d'Angleterre, Rachel Reeves est la première femme à occuper le poste de chancelière de l'Échiquier, l'équivalent britannique du ministre des Finances.

Après quatorze ans de règne conservateur, les travaillistes reviennent au pouvoir au Royaume-Uni. Le Labour a largement remporté les élections législatives britanniques, asseyant Keir Starmer au poste de Premier ministre.

Dans le sillage de la victoire de la gauche, Rachel Reeves est devenue vendredi après-midi la première femme ministre des Finances au Royaume-Uni –outre-manche, on parle de "chancelière de l'Échiquier". Un symbole du net recentrage de la politique économique portée par les travaillistes ces dernières années, qui ont bénéficié du soutien des milieux économiques.

Sophie Loussouarn, spécialiste de l'histoire politique et économique du Royaume-Uni – 04/07
Sophie Loussouarn, spécialiste de l'histoire politique et économique du Royaume-Uni – 04/07
7:55

Ex-économiste de la Banque d'Angleterre de 45 ans, Rachel Reeves incarne le sérieux économique d'un parti travailliste qui assure avoir "changé". Le Labour est désormais "le parti naturel des entreprises", martèle la prochaine ministre des Finances depuis des mois, jusqu'à présent responsable de l'opposition pour les questions économiques, marchant sur les terres de ses rivaux conservateurs. Un mantra: la rigueur budgétaire.

"Le changement ne viendra qu'avec une discipline de fer" sur les finances publiques, a affirmé Rachel Reeves, pour qui la tâche ne serait "pas facile". "Il n'y a pas de solution miracle et des choix difficiles nous attendent."

Lorsqu'elle sera officiellement nommée, Rachel Reeves deviendra la première femme à occuper le deuxième poste le plus prestigieux du gouvernement britannique, une fonction qui existe depuis 800 ans. La prochaine chancelière de l'Échiquier estime que le Royaume-Uni est aujourd'hui "à un point d'inflexion" comme "à la fin des années 1970". Une façon d'évoquer, sans la citer explicitement, une autre célèbre "dame de fer" britannique: l'ancienne Première ministre conservatrice Margaret Thatcher, première femme à prendre la tête du gouvernement britannique en 1979.

Approche pragmatique

Mais contrairement à Margaret Thatcher, qui avait mis en œuvre une politique massive de privatisations, Rachel Reeves défend un rôle plus actif de l'État, en particulier à travers des investissements dans des secteurs stratégiques, s'inspirant de la politique du président américain Joe Biden, et assure vouloir améliorer le niveau de vie, la rémunération des travailleurs et "reconstruire les services publics". Elle a toutefois été contrainte de revoir à la baisse un coûteux projet de 28 milliards de livres (33 milliards d'euros) de dépenses annuelles dans les infrastructures vertes.

"Lorsqu'elle parle d'être une chancelière de fer", cela signifie "équilibrer les comptes" et "utiliser [le poids de] l'État, mais de manière responsable", explique James Wood, professeur d'économie politique à l'Université de Cambridge.

Le recentrage du parti travailliste depuis la défaite en 2019 de Jeremy Corbyn, très à gauche, sonne comme une revanche pour l'économiste, un temps jugée trop à droite et marginalisée au sein de sa famille politique. Revenue sur le devant de la scène, elle forme un tandem soudé avec Keir Starmer, qui va devenir Premier ministre ce vendredi.

Rachel Reeves et Keir Starmer "ont adopté une approche très pragmatique" qui va "rendre la gauche du parti très mécontente, mais en pensant qu'il vaut mieux gagner une élection", complète James Wood.

"Ils veulent se distancier de l'irresponsabilité budgétaire, ne pas faire de grandes promesses en matière de dépenses qu'ils ne peuvent tenir", précise-t-il.

De quoi marquer la différence avec le gouvernement éphémère de l'ex-Première ministre conservatrice Liz Truss, qui avait fait vaciller l'économie et flamber les marchés avec un budget massif et non financé en 2022.

"Ronflement ennuyeux"

Née dans une famille d'enseignants à Londres, Rachel Reeves a rejoint le parti travailliste à 17 ans, séduite par le mantra "éducation, éducation, éducation", du chef du Labour de l'époque, Tony Blair, qui allait accéder au 10 Downing Street l'année suivante, en 1997. Elle a notamment fréquenté les bancs de l'université d'Oxford qui, avec Cambridge, incarne l'élite britannique. Qualifiée de "ronflement ennuyeux" par un journaliste de la BBC en 2013, elle est désormais vue comme "compétente" et "intelligente" par les Britanniques, selon une étude relayée en février dernier par Politico.

Sophie Loussouarn, spécialiste de l'histoire politique et économique du Royaume-Uni – 04/07
Sophie Loussouarn, spécialiste de l'histoire politique et économique du Royaume-Uni – 04/07
7:55

Passée au cours de sa carrière par la Halifax-Bank of Scotland au moment où celle-ci a été sauvée de la faillite par sa rivale Lloyds pendant la crise financière, elle siège depuis 2010 à Westminster aux côtés de sa sœur cadette, Ellie Reeves, elle aussi députée du Labour. Mariée à un haut-fonctionnaire qui fut une plume de l'ex-Premier ministre Gordon Brown, Rachel Reeves est aussi une amatrice de karaoké et d'échecs, qui a remporté un prix féminin des moins de 14 ans et a un jour joué –et perdu– contre la légende russe Garry Kasparov. Une passion prémonitoire pour la nouvelle chancelière de l'Échiquier.

J. Br. avec AFP