"Une manière de se montrer très proche": au tribunal, Dominique Boutonnat reconnaît des baisers avec son filleul mais nie toute agression
Deux voix, jeunes, quasi celles d'adolescents, résonnent dans la salle d'audience du tribunal de Nanterre. Sacha* et sa meilleure amie papotent, parlent de tout et de rien dans cet enregistrement audio d'une conversation téléphonique. Ils ne cherchent visiblement pas à passer le temps, ils cherchent à alléger le stress ressenti par le jeune homme, seul dans l'appartement parisien de ses parents. Ce dernier attend en effet que son parrain, Dominique Boutonnat, patron du cinéma français, le rappelle.
Moins d'une semaine plus tôt, Sacha affirme avoir été victime d'une agression sexuelle et d'une tentative de viol de la part de son parrain, dans sa maison de vacances sur une île grecque. Lors de cette conversation du 9 août 2020, le jeune homme, toujours sous le traumatisme, veut couper les ponts, au moins temporairement, avec Dominique Boutonnat. La justice a prononcé un non-lieu concernant les faits de tentative de viol mais a retenu l'agression sexuelle qui lui vaut un procès ce vendredi 14 juin.
"Quelqu'un de différent dans les yeux"
Face au tribunal, Dominique Boutonnat est volubile. Voix grave, posée, un coup il tire sur sa veste de costume pour la refermer, un coup il tire dessus pour la repositionner. Avec les mains, au fil d'une audience de plus de huit heures, le président du Centre national du cinéma tente de convaincre le tribunal. Sacha "était consentant", martèle-t-il, évoquant cette nuit du 3 au 4 août 2020 sur l'île de Kos où lui et son filleul de 28 ans son cadet se sont retrouvés au lit ensemble dans la chambre du jeune homme, après une soirée particulièrement alcoolisée. Chacun maintenant sa version des faits.
De cette nuit, dont il garde des traumatismes, des flashs, dit-il, le jeune homme aujourd'hui âgé de 25 ans, silhouette tout en longueur, visage juvénile, voix douce, se rappelle en détails du "choc" face au comportement d'un homme qu'il qualifie de "second père". Un bain de minuit malaisant, nu, puis, une fois dans la chambre, un premier baiser "avec la langue de façon forte et forcée", des "frottements", "les choses se passent très vite, il est à quatre pattes au-dessus de moi, je me rends compte qu’il est nu". Sacha décrit des tentatives de son parrain pour engager des gestes sexuels. Le garçon se décrit comme "tétanisé".
"Je le regarde pour essayer de retrouver mon parrain, c’est extrêmement humiliant. Je vois quelqu'un de complètement différent dans les yeux, ce n’est plus mon parrain, ce n’est plus Dominique, ce n’est plus la personne qui me disait qu’on avait quelque chose de spécial", témoigne le jeune homme.
Un baiser "consenti"
Pour Dominique Boutonnat, la soirée s'est résumée, froidement, à un baiser sur la bouche, mais consenti, avec le fils de ses meilleurs amis. "Je l’embrasse, je le prend dans mes bras, détaille-t-il. Et là ça bascule d’un baiser sur la joue à un baiser sur la bouche avec la langue que je ne renie pas, que j’accepte, quelque chose d’assez tendre, d’assez affectueux." L'homme décrit un basculement "progressif" entre "un truc très tendre et un truc sexuel", mais à l'initiative du jeune homme. "Je sens que là ça peut dériver", se souvient-il affirmant avoir quitté la chambre de son filleul avant que les choses n'aillent plus loin. "Je n'aurais pas dû laisser les choses aller jusque-là", répète-t-il en longueur au tribunal, insistant sur leur alcoolisation.
"Ce n’est que le lendemain que ça m'a particulièrement interpellé, troublé, comment j’ai fait pour en arriver là? Me retrouver avec lui, dans son lit, à s’embrasser, à lui faire penser qu’il pouvait y avoir quelque chose de sexuel. Je m'en veux qu’on se soit embrassé, je m’en veux que ça ait créé cette ambiguïté, le reste je ne peux l’imaginer. C’est impossible, un, pour ce que je suis, deux, avec lui."
Pourtant le lendemain, Dominique Boutonnat retourne voir Sacha dans sa chambre. Alors qu'il sort de la douche, il lui fait un "smack". Pour lui, il répète que ce geste est anodin, dénué de sexualité. "Quand vous revenez le lendemain, là vous savez qu’il a verbalisé la nuit le désir qu’il a pour vous, j’ai du mal à visualiser que vous ne voyez rien de sexuel là-dedans", s'interroge la présidente du tribunal. "C’est un peu con la manière dont j’ai géré", rétorque, sûr de lui, Dominique Boutonnat. "C’est une manière de dire que ce qu’il s’est passé entre nous, ce n'est rien. Je descends complètement en niveau. C’est une façon de dire je gère les choses comme avant. Et je merde en le faisant."
"Vous allez avoir des problèmes"
Pour la suite aussi, Dominique Boutonnat a "merdé". Il va insister, au point d'être "lourd" soulignera la présidente du tribunal, pour que cette nuit soit passée sous silence auprès des parents du jeune homme, dont il est l'un des meilleurs amis. "Ce n’aurait pas été plus simple de le dire à votre ami, le papa?", interroge le tribunal. "Mais si vous ne vouliez pas (ce baiser, NDLR)?", insiste la magistrate. Le président du CNC reste sur la même ligne: "J’ai laissé aller jusqu’à un certain point assez désagréable à dire. Il y a quand même quelque chose que j’ai laissé faire..."
"On peut avoir le sentiment que vous ne voulez pas qu’il en parle parce que vous allez avoir des problèmes?", poursuit le tribunal. "Oui ça peut donner ce sentiment-là", reconnait Dominique Boutonnat. "Mais la réalité c’est 'tu n’es pas bien, on se parle et on voit comment on peut sortir de cette histoire'." Mais pour la défense, la rhétorique est simple: si Dominique Boutonnat ne reconnaît pas ses baisers, il ne serait pas poursuivi. Et s'il les reconnaît, c'est qu'il n'y a aucun caractère sexuel.
"Heureusement on n’a rien fait de vraiment sexuel, et j’en dormirais pas de la nuit. S’embrasser, c’est juste une manière de se montrer très proche", lancera, six jours après les faits, Dominique Boutonnat à Sacha, lors de cette conversation téléphonique tant redoutée par le jeune homme.
Pour Me Caroline Toby, l'avocate de Sacha, le patron du cinéma français est un "stratège, un technicien". Elle estime qu'il a agi par "surprise" pour agresser sexuellement son filleul qui était "sous emprise". C'est la même thèse défendue par l'accusation. Comme pour les parties civiles, le parquet considère que sans les messages envoyés, puis effacés, par Dominique Boutonnat après cette nuit du 4 août dans lesquels il se justifie en ayant voulu "challenger sa sexualité", sans cette longue conversation enregistrée par Sacha avec son parrain pour établir de la distance et lui faire part de son mal-être, les faits n'auraient peut-être jamais été présentés au tribunal.
Le parquet a requis trois ans de prison avec sursis à l'encontre de Dominique Boutonnat. "On est allé très près de quelque chose qui aurait été criminel", a estimé la procureure dans ses réquisitions. La décision a été mise en délibérée au 28 juin.
* Le prénom a été modifié.