Victimes d'actes anti-LGBT, ils se battent pour faire reconnaître le caractère homophobe de leur agression
Le
La soirée avait bien commencé. Dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7 avril, Quentin, 36 ans, fait une belle rencontre dans un endroit connu de la communauté LGBT lyonnaise. Il s’appelle Valentin.
"J’allais le ramener chez moi", se remémore Quentin, auprès de BFMTV.com. Au petit matin, les deux jeunes hommes entament leur traversée du pont de Perrache. Ils s’embrassent, s’enlacent.
"Et là, un mec qui semblait caché surgit d’un muret qui fait l’angle", coupe Quentin. "On n'a pas eu le temps de partir. Il avait un sac rempli d’objets métalliques."
Valentin est roué de coups. Quentin aussi, il perd connaissance. "Il s’est déchaîné sur mon crâne", affirme-t-il. Quand il rouvre les yeux, "je nous vois à terre, plein de sang". Après avoir violemment agressé ses victimes, l’agresseur les a détroussées, emportant notamment le téléphone de Quentin.
"Il me dit aussi que c'est un fou"
Au commissariat, quelques heures plus tard, le trentenaire rapporte les faits au policier qui enregistre sa plainte. Le Lyonnais n’a conservé aucun souvenir de son agression. Quentin parle "d’un fou" pour qualifier l’homme à l’origine de son traumatisme crânien et facial, de ses nombreuses plaies au visage, de son crâne recouvert de blessures. Il n'imagine pas à ce moment-là avoir été agressé en raison de son orientation sexuelle.
"Cette agression, c'était déjà trop, je ne voulais pas admettre qu’en plus ce soit homophobe", confie Quentin, qui dit avoir précisé au plaintier être en compagnie d'un homme au moment de l'agression. "Le policier me dit aussi que l'agresseur est un fou", affirme-t-il. La plainte est déposée. Son orientation sexuelle n’est pas évoquée.
Quentin raconte que Valentin, lui, se souvient parfaitement des faits. "Il demande à deux reprises à ce que le mot 'homophobe' soit noté dans sa plainte", assure-t-il. "Le policier ne le fera pas."
Peu à peu, les souvenirs de la soirée remontent à la surface, Quentin décide de médiatiser son histoire. Il s'entoure d'un avocat mandaté par l'association Stop Homophobie. Le trentenaire estime à présent avoir été agressé en raison de son homosexualité, et rassemble les pièces du puzzle: Valentin et lui sortaient d'un lieu LGBT. Ils se sont embrassés quelques minutes avant l'agression.
Un complément de plainte est déposé. Le parquet de Lyon a retenu à ce stade la circonstance aggravante. Ce qui n'est pas toujours le cas.
Prouver le caractère homophobe
Depuis 2022, en France, l’article 132-77 du Code pénal prévoit que "lorsqu'un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée", la circonstance aggravante est caractérisée.
"Elle est caractérisée quand les infractions sont accompagnées, suivies ou précédées d'actes ou de propos discriminatoires, précisément des injures", explique Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, avocat de Quentin et de Stop homophobie, qui s'appuie sur une circulaire du ministère de la Justice d'avril 2017.
Pour retenir cette circonstance aggravante, la victime doit rapporter les preuves. Or, les injures homophobes sont difficilement prouvables, faute de témoin, par exemple.
La circonstance aggravante est également caractérisée "quand on arrive à établir que les infractions ont été commises car les victimes sont homosexuelles indépendamment de toute considération de haine ou pas", poursuit l'avocat. Par exemple quand l'agresseur passe par une application de rencontre LGBT+ pour commettre des infraction. Car en se connectant sur ces sites, l'agresseur vise spécifiquement des personnes à raison de leur orientation sexuelle.
Des policiers "pas du tout formés"
Dans les faits, les associations LGBT+ dénoncent les difficultés auxquelles les victimes sont confrontées.
"Il y a une myriade de problématiques lorsqu’on dépose plainte face à des policiers qui ne sont pas du tout formés à la question des violences LGBTphobes", analyse Maxime Haes, porte-parole de Stop Homophobie.
Parfois, le caractère homophobe n’est pas retenu "pour que les dossiers aillent plus vite en justice", explique Julia Torlet, présidente de SOS Homophobie. "Cela part d’une bonne volonté car le caractère discriminatoire est difficile à prouver, mais ça modifie les chiffres." En France, les actes anti-LGBT+ ont augmenté de 13% en une année selon les données communiquées par le ministère de l'Intérieur.
"Lorsqu’on est victime d’un guet-apens à la suite d’une rencontre sur des applications prévues par et pour les personnes LGBT+, je ne comprends pas pourquoi systématiquement, par réflexe, la circonstance n’est pas de mise, tout de suite", note de son côté Maxime Haes, invité du podcast inédit Affaire suivante de BFMTV.
Plusieurs affaires médiatisées
À Grenoble, en avril dernier, cinq adolescents, suspectés d’avoir séquestré et tabassé un adolescent homosexuel de 15 ans qu'ils avaient croisé dans la rue, ont été interpellés et présentés devant le juge des enfants, révélait Le Dauphiné Libéré. Ils auraient humilié la victime en proférant des insultes à caractère homophobe. Mais à ce stade, le parquet n’a pas retenu la qualification homophobe des faits.
"Le parquet s’est évidemment posé la question, mais a fait le choix de ne pas la retenir à ce stade pour plusieurs raisons: absence de témoignage de tiers, dénégations de certains mis en cause, refus du principal mis en cause de répondre aux questions des enquêteurs”, explique Éric Vaillant, procureur de la République de Grenoble. "Le tribunal pourra éventuellement la retenir au vu des nouveaux éléments qui apparaîtront et notamment des déclarations des parties lors des débats", ajoute-t-il.
En juin 2023, Luc di Gallo, adjoint au maire de Montreuil, est la cible d'un guet-apens organisé par le biais de l'application de rencontre Grindr. Une fois arrivé sur le lieu de rendez-vous, l'homme est ciblé par plusieurs hommes et reçoit une pluie de coups et d'insultes. "Ils m'ont dit 'sale PD' et 'pédophile'", détaille l'élu.
Au commissariat, "tout se passe bien" lors du dépôt de plainte. Mais l'élu apprend que "le procureur de la République n'a pas retenu, à ce stade, le caractère homophobe de l'agression". Contacté, ce dernier n'a pas répondu à nos sollicitations.
"Le parquet en charge de l'enquête préliminaire peut estimer qu'il n'y a pas lieu d'appliquer la circonstance aggravante faute de preuves suffisantes", explique Me Jean-Bernard Geoffroy, avocat et cofondateur du Réseau d’assistance aux victimes d’agressions et de discriminations (Ravad). Mais la circonstance aggravante peut être retenue plus tard dans le processus judiciaire, poursuit l'avocat. "La partie civile peut notamment demander une requalification en audience."
Du côté de Stop Homophobie, "sur 190 procès, il a seulement deux cas où la circonstance n’a pas été retenue", indique Maxime Haes.
"On se rend compte qu’au procès ça passe relativement bien car on a des avocats spécialisés qui envoient, dès le dépôt de plainte, tous les bons éléments au procureur de la République."
"C'était une évidence"
Parfois, la circonstance aggravante n’est retenue qu’en deuxième instance. En avril 2021, un homme de 25 ans est condamné en appel par la cour d’assises de Paris à 14 ans de réclusion criminelle pour "viol en raison de l’orientation sexuelle" sur Jeanne*, une femme lesbienne. En première instance, la circonstance aggravante n’avait pas été retenue bien que le juge d’instruction ait ouvert une enquête en ce sens.
"En première instance, ce qui m’importait c’était que l’accusé reconnaisse le viol", explique Me Stéphane Mauger, l’avocat de Jeanne. "On s’est moins orienté sur la question lesbophobe. Pourtant l’avocat général l’avait fait, mais je pense qu’on a péché par orgueil dans le sens où c’était une évidence."
Le 8 octobre 2017, Jeanne, 34 ans, rencontre un homme place de la République à Paris. La jeune femme, qui se présente comme "préférant les filles", rentre chez elle en compagnie du garçon. Après avoir refusé un rapport sexuel, l'accusé la viole, la violente et l'humilie pendant près d'une heure.
"J’ai tout axé en appel sur la question de l'homophobie", détaille Me Stéphane Mauger. Pour rendre sa décision, la cour d'assises s’est appuyée sur le témoignage de Jeanne, qui relate à de multiples reprises la phrase lancée par son agresseur: "Tu kiffes les meufs? Eh bien je vais te faire kiffer."
Les jurés et les juges ont estimé qu’il s’agissait d’un viol lesbophobe, notamment car l’accusé connaissait dès le début de leur rencontre l’orientation sexuelle de sa victime.
Des formations pour les policiers?
Pour améliorer la prise en charge des victimes, Me Jean-Bernard Geffroy insiste sur la nécessité "d’une formation" des fonctionnaires et des magistrats. Et l'instauration d’un questionnaire "pour que la police puisse poser les bonnes questions".
Et ce, aussi pour éviter aux victimes, peu informées sur leurs droits et choquées, d'omettre certains éléments importants et nécessaires à la caractérisation de la circonstance aggravante.
La solution pourrait passer par la nomination d'officiers de liaison LGBT, chargés d'accueillir, d'orienter et d'accompagner les victimes qui voudraient déposer plainte. Ces personnes "parlent notre langue, assurent une permanence téléphonique pour fournir une aide précieuse aux victimes", détaille Quentin. Mais ce dispositif est encore loin d'être généralisé: il n'existe pour l'heure qu'à Paris et en petite couronne.
* Le prénom a été modifié.