Copier EDF, prolonger le nucléaire: l'étonnant programme énergétique du nouveau gouvernement britannique
Un raz-de-marée. Le parti travailliste a pris la main à la Chambres des Communes britannique le 5 juillet dernier, après 14 années de gouvernance conservatrice, en emportant 412 des 650 sièges distribués. A sa tête, une personnalité à la tonalité écologiste: Keir Starmer.
Le député, chef de l'opposition depuis quatre et réputé réformiste -plus que son prédecesseur Jeremy Corbin, qu'il a par ailleurs suspendu à la suite de propos jugés antisémites- s'est en effet fait connaître en tant qu'avocat, combattant la peine de mort mais défendant aussi les militants écologistes David Morris et Helen Steel face à McDonald's, qui les accusaient de diffamation. Le procès, devenu le plus long de l'histoire anglaise, a même fait l'objet d'un documentaire du cinéaste Ken Loach.
Keir Starmer a dû en outre construire son programme en pleine crise énergétique, subie de plein fouet par les britanniques: avec son marché libéralisé, le pays pointait à 0,48 euros/kWh payé par les consommateurs, contre 0,27 en France et 0,28 en moyenne dans l'Union Européenne. Si l'écart s'est réduit en juin 2024 (0,36 contre 0,30), Londres continue à payer cher la récente hausse des cours.
Créer un organisme public, priorité absolue
Une situation paradoxale, puisqu'à l'inverse de la France, le pays dispose de ressources énergétiques: 1,5 milliard de barils de pétrole dorment encore par exemple dans les réserves du sous-sol anglais, essentiellement en mer du Nord, quand la production avoisinait 500.000 barils par jour l'année dernière. Il produit aussi à lui seul 14% de l'énergie européenne, toutes sources confondues: le Royaume-Uni constitue en effet également le deuxième marché au monde pour l'éolien en mer, là où la France peine à enchaîner après le lancement de trois parcs seulement (Saint-Nazaire, Saint-Brieuc, et Fécamp).
Pourtant, le parti travailliste souligne sa volonté de soustraire le pays à sa dépendance vis-à-vis de l'étranger. La principale mesure portée par le Labour est ainsi la création de la Great British Energy, un organisme public, qui pourrait créer jusqu'à 650.000 emplois, et piloterait une stratégie nationale.
Nécessaire, selon Keir Starmer, pour rendre cohérents les investissements consentis très rapidement: 8,3 milliards de livres (9,85 milliards d'euros) pourraient être investis dans la nouvelle entité, une sorte d'EDF britannique. Il devrait investir dans les trois priorités énergétiques pointées par le parti, l'éolien offshore, l'hydrogène et les courants marins (l'estuaire de Severn, aux confluents de plusieurs fleuves, permettrait, selon les marées, de couvrir jusqu'à 7% des besoins énergétiques du pays).
L'organe pourrait profiter de la future réforme du marché de l'électricité en Grande-Bretagne, elle aussi souhaitée par les travaillistes. Aujourd'hui, malgré sa production nationale, le pays fonctionne en vertu du principe du "dernier appelé". Pour ne pas distordre la concurrence, c'est la dernière unité produite et consommée d'énergie qui détermine le prix de toutes les autres, donc la plus chère comparativement. Alors qu'elle produit du gaz, la Grande-Bretagne paye le prix du GNL (gaz naturel liquifié) importé du Texas, par exemple.
Keir Starmer souhaite ainsi que la nouvelle entité puisse investir et mieux protéger les consommateurs côté tarifs, en récupérant dans sa trésorerie les recettes issues de la taxe sur les superprofits adoptée par les conservateurs. Ces derniers l'ont déjà prolongée jusqu'en 2029, mais leurs rivaux veulent l'amplifier.
"Le parti travailliste compensera les lacunes de la taxe sur les bénéfices exceptionnels des compagnies pétrolières et gazières. Ces entreprises ont bénéficié d'énormes profits non pas grâce à leur ingéniosité ou à leurs investissements, mais à cause d'un choc énergétique qui a fait grimper les prix pour les familles britanniques. […] Nous augmenterons le taux de la taxe de trois points", promet le Labour.
Équilibre entre nucléaire et renouvelable
Le parti travailliste fait aussi et surtout fi des oppositions entre renouvelable et nucléaire, encore très présentes en France dans les partis de gauche -qui n'ont par exemple exprimé aucune position au sujet du nucléaire dans le programme du Nouveau Front Populaire, préférant renvoyer la balle aux futures discussions parlementaires. Outre-Manche, les ambitions du Labour sont plus que claires concernant le renouvelable, d'abord: tripler les capacités solaires, doubler les capacités éoliennes terrestres, et quadrupler les capacités d'éoliennes offshore. Le tout, d'ici à 2030, et avec pour première étape l'abrogation du moratoire institué par les Tories sur l'éolien terrestre.
Concernant le nucléaire, Keir Starmer a aussi pour projet de soutenir le développement de la centrale de Sizewell C, opérée par EDF et construite par Framatome. Un projet regroupant deux réacteurs EPR, similaires à ceux d'Hinkley Point, et controversés dans le pays pour leur coût et leur impact environnemental potentiel. Les travaillistes ont aussi apporté leur soutien explicite au développement des SMR ("small modular reactors"), ces mini-réacteurs nucléaires dont s'est aussi emparé Emmanuel Macron, qui souhaite en accélérer le développement.
Les travaillistes sont aussi très clairs sur la sortie des énergies fossiles, malgré les ressources nationales: "Nous n'accorderons pas de nouvelles licences pour explorer de nouveaux gisements, car elles ne réduiront pas les factures d'un centime, ne nous assureront pas la sécurité énergétique et ne feront qu'accélérer l'aggravation de la crise climatique".
"En outre, nous n'accorderons pas de nouveaux permis d'exploitation du charbon et nous interdirons définitivement la fracturation hydraulique", décrit le programme du parti.
Un programme énergétique en ligne avec les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Dans son dernier rapport annuel, elle actualisait son scénario pour un monde neutre en carbone en 2050: les renouvelables y dominent à 90% de la production d'électricité, mais les capacités nucléaires doublent également par rapport à aujourd'hui.